Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
LES MENDIANTS DE PARIS

femme tient entre ses doigts ne sert pas à autre chose.

Herman vint s’asseoir à côté de sa femme et lui prit la main.

— Alors, dit-il, combien j’aimerai désormais à vous voir tenir l’aiguille… et les pinceaux… Cultivez surtout ce beau talent de peinture… Savez-vous que votre tableau a vraiment fait sensation au Louvre…

— C’était un sujet qui me convenait… que je peignais avec goût… J’ai toujours eu de la prédilection pour cette Valentine de Milan… la femme la plus aimante dont nous parle l’histoire… Je porte le même nom, et il me semble qu’elle est un peu ma patronne. Elle ne voyait l’amour que dans le mariage.

— Et elle aimait son mari quand même.

— Ah ! il y a de terribles quand même en mariage ! N’importe, je me sens une obstination de sentiment, une espèce d’entêtement de cœur capable de résister à bien des déceptions.

— Vraiment !

— Il faut être juste. Aimer dans le mariage ! aimer sans trouble et sans remords ! recevoir le bonheur comme une loi, l’amour comme un devoir ! c’est là un si grand bienfait, qu’on peut bien se décider d’avance à le payer de quelques peines.

— J’admire ce beau courage, dit Herman en souriant, mais j’espère bien qu’il sera inutile.

— Qui sait ?

— Moi !… Pourrai-je jamais vous causer de peine, quand chaque souffle de ma vie me rappellera que je vous la dois, quand chaque instant de douceur dont je pourrai désormais jouir m’aura été donné par vous… Ô Valentine, j’étais bien malheureux quand vous êtes venue, comme Dieu même aurait pu le faire, changer en un instant toute ma destinée.

— Il y a un peu de Dieu dans les actions du cœur.

— J’étais souffrant de corps et d’âme… sans affection, sans fortune et sans force pour en retrouver ; vous m’avez tout donné la tendresse, le repos, la sécurité, une existence honorable… car, dans certaine classe, le monde ne voit guère l’honneur sans la richesse.

— Oh ! pour cela, nous sommes quittes… car si vous me devez quelque fortune, c’est à vous que je dois de pouvoir en jouir… je n’avais jamais connu la moindre joie auprès de ma cassette… l’or et les billets de banque