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LES MENDIANTS DE PARIS

— Le nègre est là, reprit-il ; ces gens parlent trop haut pour entendre le bruit de nos pas… viens… ne fais pas craquer les branches.

Ils montèrent sur une élévation de terrain, d’où on voyait à travers les rameaux l’assemblée qui se tenait sur une place découverte au milieu du taillis.


VIII

la partie du nègre

Cette assemblée était formée de mendiants de tout âge, couverts de haillons bigarrés, rangés autour d’un tapis de jeu formé d’une veste étendue par terre ; et entourée de brocs de vin, de cannettes d’eau-de-vie, de croûtes de pâté, de talons de fromage, de verres et de bouteilles renversés.

La lueur des quinquets du café voisin, passant par une éclaircie de feuillage, venait tomber en cet endroit.

Au milieu du cintre noir que formait le taillis de chênes dans la nuit, on voyait, sous la teinte pourprée de la lumière, ces figures osseuses, tannées, ridées, abruties, où le feu sacré de la vie était éteint et remplacé par la cynique animation du vin.

Les lames, de lumière rougeâtre qu’agitait le mouvement des rameaux, et que troublaient les flots de fumée sortant des pipes, allaient et venaient sur ces visages bizarres et dont l’aspect était plus saisissant et plus hideux dans cette clarté incertaine où ils se cachaient reparaissaient au même instant.

Les gueux, à demi couchés sur l’herbe, dans une attitude de mollesse voluptueuse, jouaient aux cartes en digérant leur festin.

Le plus hideux de ces personnages était le nègre contrefait, assis sur ses talons, roulant ses gros yeux blancs et faisant des grimaces d’enfer à chaque point qu’il perdait.

Modèle de laideur et de malice, ce Cafre estropié semblait le génie familier de ce repaire.

Le grand vieillard investi de la présidence de l’assemblée, comme doyen d’âge des mendiants, était encore le père Corbeau, montrant dans ce bois sombre sa tête de