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LES MENDIANTS DE PARIS

je monte chez Jeanne lui porter une écuelle de soupe économique, à cette pauvre femme.

— Elle va donc toujours mal ? demanda madame Jacquart.

— C’est son tremblement qui la tient… Elle n’a pas pu descendre aujourd’hui… Et celle-là n’a pas son pain sur la planche.

En discourant ainsi, les deux mendiantes s’en allèrent, et Robinette demeura seule au logis.

Elle se promenait de long en large, les bras croisés, et parlait haut comme elle en avait l’habitude dans un besoin de conversation insatiable.

— C’est affreux de la part de Pasqual, disait-elle. Me conseiller d’écouter ce beau monsieur… de me faire belle et engageante pour lui… comme si je ne savais pas ce que parler veut dire… Vilain Pasqual, va, c’est une horreur !

Et se reprenant après un instant de silence :

— Mais, au fait, non… ce ne serait pas tant une horreur… Si cela arrivait, j’aurais fameusement de jouissance… Des robes de dimanche tous les jours… des dîners… Ah ! pristi, des dîners soignés !… du bon vin à discrétion, des cigares tant que je voudrais… j’en achèterais à trois sous, des flambards !

Elle s’arrêta subitement.

— Mais qu’est-ce que je dis donc ! suis-je bête encore ! il y en a, des demoiselles, qui ont bien mieux que tout cela ; qui ont des appartements tout de glaces et de dorures… des bijoux plein leur tête et leur corsage, des toilettes qui reluisent comme des soleils, des voitures magnifiques pour sortir !…

La jeune fille passa les mains sur son front.

— Ô ! mais qu’est-ce que j’ai donc ?… il me semble que tout tourne… et le battement de cœur d’une force !… d’une force !…

Robinette fut obligée de s’asseoir et resta quelque temps les yeux fixés dans l’espace avec une expression d’enchantement inexprimable… Elle se leva et alla se regarder au miroir.

— Jolie ! dit-elle, oh ! jolie à croquer ! comme disent souvent les autres.

Puis, promenant son regard autour d’elle :

— Comme c’est pauvre ici ! comme c’est misérable ! des chaises de paille, de vieux meubles… pas un brin de