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LES MENDIANTS DE PARIS

tions étaient son père et Marie… Marie surtout, qu’il avait sauvée de la misère, de la mort, sans doute !… En la voyant si petite et déjà si charmante, il lui semblait que c’était là sa création, son ouvrage ; il la couvait des yeux en versant parfois une larme de joie.

Heureux et fier de son trésor, dont il était aussi jaloux au dernier point, il n’aurait pas permis que personne y touchât ! Et il donna un jour de sa susceptibilité à cet endroit une preuve assez caractéristique.

C’était un dimanche, à l’heure où allait s’ouvrir la danse champêtre. Pierre, qui avait alors quinze ans, était seul au jardin. Appuyé contre la balustrade rustique, il suivait des yeux la petite Marie, qui était allée au bord de la rivière chercher du cresson pour le père Augeville et remontait alors le rivage.

Le ménétrier du village, espèce de brute toujours à moitié ivre, vint à passer par là. En voyant la salade, sans doute très-engageante, que portait la petite fille, il voulut la lui prendre des mains ; et, comme l’enfant défendait sa cueillée de toutes ses forces, il lui donna un coup de son violon assez fort pour la renverser par terre.

Elle jeta un grand cri en appelant Pierre.

Pierre la relevait déjà et la pressait dans ses bras. Dès qu’il avait vu un bras levé sur son enfant, la balustrade, la pelouse n’avaient compté pour rien ; il les avait franchies d’un bond et était arrivé dans la même minute où Marie l’appelait.

Pâle de colère, il arracha le violon des mains de son maître et le lança contre une roche, de manière à le réduire en poudre. Puis, les poings fermés, il tomba sur le ménétrier.

Un grand nombre de paysans s’étaient déjà rassemblés autour d’eux et regardaient la lutte qui venait de s’engager sans l’interrompre ; d’abord parce qu’on ne dérange jamais les gens dans une telle occupation, ensuite parce que le combat entre un enfant de quinze ans et un homme de trente ans offrait de l’intérêt. Le joueur de violon étant étranger au pays, et un assez mauvais garnement, toute la galerie formait des vœux pour son brave adversaire ; mais quoique celui-ci fût d’une rude force pour son âge, et l’autre quelque peu affaibli par l’ivresse, la partie restait encore très-inégale et le combat fut long.

Enfin, Pierre, avec la rage qu’il avait dans le cœur, fit