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les mendiants de la mort

— La fortune qui vient d’un mauvais côté, dit Pierrot d’un air gravement réfléchi, est bien grosse tout de suite, puis s’en va en diminuant jusqu’à rien du tout ; au contraire de ça, la fortune qui vient par le travail est bien mince pour commencer, mais elle va en grossissant et devient superbe un jour.

— On s’en aperçoit, répondit Robinette en regardant les cages pleines d’oiseaux. Tu as bien augmenté ton commerce depuis que je ne t’ai pas vu.

— Ah ! c’est pas sans peine… Ce printemps-là, je vendais des z’hannetons, et les affaires allaient pas mal… Mais un beau jour, en allant dans les bois chercher ma marchandise, qu’est-ce que je vois !… mam’zelle Robinette…

— Qu’est-ce que tu vois ?

— Hélas ! rien du tout ! les z’hannetons étaient tous disparus !… partis ! je ne sais où !

— Tiens, c’est tout simple !

— Plus un seul dans la campagne !… Alors je dis : faut que la campagne me donne autre chose. Je trouve des violettes, je me mets à les cueillir à pleins paniers et à les apporter aux herboristes. Ça allait encore, on pouvait se faire une position indépendante… Mais tout à coup, bon ! v’là les petites violettes parties à leur tour, qu’il n’en reste pas l’ombre… Je ne me décourageais pas. Il y avait encore les immortelles, j’en fais des couronnes que j’apporte pour vendre dans les cimetières… c’était bien triste… mais enfin on y gagnait sa vie.

— Pauvre Pierrot !

— Pas si à plaindre… car un jour, pour une couronne que j’avais posée sur une tombe, je trouve là un homme bien généreux qui me donne une belle pièce d’or… Vous croyez peut-être que je l’ai mangée… pas si bête… J’avais vu dans le temps du départ des z’hannetons, des merles et des pinçons au nid, qui auraient joliment remplacé mes cris-cris !… mais j’avais pas de cage pour les mettre… Alors, quand les fonds me sont venus, j’ai eu bientôt fait d’acheter le magasin et de le remplir… Les petits oiseaux ont grandi et prospéré… Et voilà la compagnie, dit-il en étendant la main vers les cages.

— Très-bien, mon garçon.

— Mais vous, mam’zelle Robinette… c’est bien plus intéressant… où allez-vous de ce pas ?

— Je n’en sais rien.

— Bah !