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les mendiants de la mort

mon cœur… car depuis longtemps ce cœur n’habite plus en moi…

— C’est dommage… quand j’étais petite, et que je te parlais de mon amour, tu riais… et au fait, c’était drôle ; moi si vive, si folle, toujours joyeuse sans savoir pourquoi, aimer un homme froid, sévère à faire peur, une espèce de revenant qui semble se trouver par hasard sur la terre. Et pourtant c’était vrai ! Oui, depuis que tu es malheureux, je sens que tout cela n’était pas des enfantillages, et que je t’aime réellement… Tu ne me dis rien ?

— Si… je te trouve bien jolie avec ces larmes dans tes grands yeux.

— Vrai ?

— Déjà une fois, à la taverne, que tu étais étourdie par les vapeurs du vin, et aujourd’hui en te voyant pleurer sur moi, j’ai remarqué combien tu étais belle.

— Et puis, c’est tout ?

— De ma part, mon enfant, c’est plus de succès pour toi que si un autre devenait fou de tes charmes.

— Eh bien ! c’est égal, mon amour ne t’en reste pas moins… ou plutôt ce n’est pas de l’amour, mais quelque chose qui me tient au cœur et qui fait que je donnerais ma vie pour toi.

— Pauvre enfant !

— Et voici toujours ce que je l’apporte, dit-elle en ouvrant un grand panier. Regarde… Deux bouteilles de champagne, un pâté, des biscuits… Je vais déposer tout cela au greffe, et on te le remettra.

— Comment, tout cela !…

— Sur mes économies… Ah ! dame, autrefois, je mettais vingt francs à un bouquet, à présent je ménage les sous de l’aumône pour mon dîner… C’est amusant, n’est-ce pas ?

— Je t’en prie, ma petite Robinette, ne te prive plus pour moi à l’avenir… Je ne manque de rien ici… Et en vérité, ajouta-t-il d’une voix plus concentrée, je n’ai depuis longtemps été aussi heureux…

— Encore tes singulières idées !

— Sérieusement… Mon maître et moi nous avions encore un peu d’argent au moment de l’arrestation, on nous a mis ici à la pistole. Nous couchons dans des cellules particulières, et, du reste, nous sommes très-bien servis, je t’assure.