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les mendiants de la mort

Corbillard jeta un regard sur ses siens, et dit avec un fin sourire :

Puisqu’on ne peut se réconforter ici, eh bien, mon vieux, sois bon enfant, donne-nous à chacun cent francs pour faire la noce et nous remettre un peu dans nos affaires.

En entendant parler d’argent, Corbeau frissonna, il jeta un regard rapide du côté de son lit ; un premier mouvement lui serra le cœur ; mais il dit d’un air patelin :

— Allons, mes amis, vous voulez railler ma misère ! Vous vous riez d’un pauvre vieux qui peut à peine rouler encore pour demander son pain !…

— Lui refuse !… lui refuse ! dit le nègre aux autres mendiants en se frottant les mains de joie.

— Ah çà ! tu ne veux donc rien donner aux camarades ! demanda à Corbeau toute la troupe.

Le vieillard fixa sur eux son regard sombre :

— Mais, décidément, dit-il, vous êtes fous !

Eustache vint se mettre en face de lui, redressa sa haute taille, et dit en se croisant les bras :

— Alors, écoute, Corbeau : c’est vingt mille francs que nous te demandons pour les partager entre nous. Le vieillard bondit en arrière, et s’écria d’une voix exaltée :

— Vingt mille francs !… moi !… Mais est-ce que je sais seulement s’il existe une si forte somme au monde ! Vingt mille francs !… Mais, pour moi, c’est un rêve… je ne les ai jamais vus !

— Ils sont là, dit impérieusement Robinette en étendant la main vers le lit.

Le regard furtif de Corbeau l’avait instruite.

Le sordide vieillard comprit tout. Le soupçon qui, depuis quelques minutes, le rendait palpitant de crainte, éclata dans son cerveau on certitude terrible : il était trahi !

Mais aux paroles de Robinette, la masse des mendiants s’était précipitée avec tant de promptitude ardente vers le lit, qu’il n’eut pas le temps de se jeter devant cette paille pleine de ses richesses, pour la défendre de son corps. Il en resta séparé par une barrière invincible.

En une minute le lit du mendiant est bouleversé, arraché pièce à pièce par ces hommes, ces femmes acharnés, qui retournent et secouent chaque lambeau… On déchire la toile grossière du dernier matelas, des mains avides fouillent dans la paille, dont les brins usés s’élèvent en