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les mendiants de la mort

pas d’aujourd’hui… il y a longtemps que je travaille par ici…

« La bonne moitié des morts qui reposent sous cette terre peuvent bien dire qu’ils y ont été placés par mes soins… Si mes services vous semblent mériter quelque reconnaissance, un petit pour-boire, mon bon monsieur… et que Dieu vous en donne autant. »

Herman tira deux nouvelles pièces de cinq francs de sa bourse ; et après avoir ainsi donné à droite et à gauche, il pensait être quitte des demandes, lorsqu’un gros homme blond, joufflu, rouge comme la pivoine qu’il portait sous le bras, dans un pot de terre, lui barra sans façon le chemin.

Il commença par rire jovialement à Rocheboise, et continua ainsi :

— Si monsieur a besoin d’un jardinier, je lui demande sa pratique… Monsieur veut sûrement faire cultiver son terrain… Je fais des petits jardins jolis comme des amours, des fleurs soignées qu’on se mire dedans. Et pour vingt francs par an… c’est pas cher… Il en coûterait dix fois plus d’apporter les fleurs soi-même et on en a le même agrément… Quand vous viendrez au cimetière, vous serez content, monsieur, je vous assure.

— Il suffit, mon cher… nous verrons cela plus tard.

Rocheboise voulait s’éloigner, mais le pot de pivoine, allant et venant devant lui, lui fermait toujours le passage.

— J’entretiens chaque tombe au gré de la personne, continuait le jardinier avec volubilité, chacun a sa fleur favorite… les dames surtout ont beaucoup de (leurs favorites… vous me direz celle que madame votre mère aimait le mieux, œillet, giroflée, pied d’allouette… je m’en souviendrai… il y en aura aux quatre coins du jardin… c’est ainsi que les morts sont honorés, monsieur, par de pieux souvenirs… Et quand le soir j’arrose le gazon, c’est encore comme des pleurs qui viennent couler sur leur tombe.

Herman n’entendait plus le jardinier, car il venait, par un brusque mouvement, de se dérober à ses poursuites, et dans l’impatience qui le possédait, marchait d’un pas plus rapide.

Il ne s’apercevait pas que depuis un instant un petit garçon, tenant embroché a son bras une quantité de cou-