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les mendiants de la mort

marteaux encore frappés sur les ferrures mal jointes, complétaient la terrible harmonie et achevaient de faire comprendre l’avertissement lugubre.

Les deux prisonniers prêtèrent l’oreille à ce bruit.

— Entendez-vous ? dit Herman.

— Ce sont des chaînes apportées aux condamnés.

— Ces chaînes sont pour nous !

— Elles vous attendent.

— Oh !… c’est trop !… mon Dieu !…

— Les hommes se sont chargés d’achever mon ouvrage, prononça Augeville. On eût dit que mon âme les inspirait… Au lieu de la mort, ils ont prononcé le bagne, au lieu du supplice d’un moment, le supplice éternel !

Herman jeta un cri qui semblait emporter le dernier souffle de sa vie.

— Vous frémissez, dit Pierre, vous trouvez horrible d’être brisé ainsi par la volonté cruelle d’un seul homme… Et que m’avez-vous donc fait, à moi, demanda-t-il en levant un regard qui attestait le ciel. Croyez-vous donc que je ne fusse pas aussi paisible, heureux, quand vous êtes venu tout à coup me frapper, m’anéantir ?… Est-ce qu’il n’y avait pas aussi pour moi une délicieuse existence dans la tendresse de mon vieux père, dans l’amour de Marie, dans ces mots du cœur épanchés après une journée de travail, au milieu de la verdure que nous avions cultivée, sous le ciel radieux qui souriait à notre joie !… Étais-je donc partagé de moins de douceurs pour en jouir dans l’obscurité ? Étais-je moins fortuné, moins puissant que vous, quand la richesse de la nature, quand le cœur d’une jeune fille, belle et pure, m’étaient donnés dans mon humble campagne ?…

« Vous n’y avez pas pensé, cependant ; en une minute, vous avez tout détruit… Marie est morte dans l’effroi seul du supplice que vous aviez préparé pour elle ; mon père, fou de douleur, est resté abandonné sur une terre flétrie, plus triste que la tombe… Et moi, je leur ai survécu pour supporter seul le souvenir de tant de maux… Après cela, mon Dieu, qu’ai-je donc fait en vous perdant !… Ai-je rendu le mal qui m’avait été fait ?… Ah ! c’est moi qui suis fou d’avoir cru me venger… Vengeance ! mot impuissant, illusion qui berçait mon désespoir !… J’ai voulu rendre souffrance pour souffrance… Insensé !… Être déshonoré aux yeux des hommes, condamné à vivre d’opprobre, en-