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les mendiants de la mort

— Qu’est-ce que cela, dit-il rudement, d’où vous vient cet argent ?

Les mendiants, tout en lâchant de ne pas perdre contenance, commençaient à se presser les uns contre les autres, tandis que Friquet répétait :

— Répondez, d’où sort cet argent ?

— Ça nous regarde.

— Ou l’avez-vous pris ?

— Puisque nous nous en chargeons.

— Il ne s’agit pas de cela, vous l’avez volé.

— Oh ! maître Friquet, ne parlez pas de ce ton… ou bien…

— D’abord, ajouta Eustache, en fait de filouterie, mes révérends pères, vous n’avez rien à redire aux autres… Ensuite, ce n’est pas du bien mal acquis… il nous vient…

— Allons, parlez !

— D’un héritage, dit une voix un peu tremblante.

— Oui… d’un héritage… répètent les autres, qu’on nous a laissé pour nous tous.

— Ah ! pour vous tous, reprend Friquet. Est-ce que je n’en suis pas, moi, de vous tous ? C’est honnête et loyal de votre part ; vous avez une épave qui doit être mise en commun, et vous ne m’appelez pas au partage !

— Est-il drôle encore celui-là ! s’écrie Jean-Marie.

— Comment, drôle, dit Friquet d’un ton adouci. Est-ce que nous ne sommes pas, mon camarade et moi, des amis, des frères ?…

— Des frères ignorantins pour le quart d’heure.

— Vivant comme vous de la charité publique, ajoute Friquet…

— Allons donc, dit un des mendiants. Aux portes des églises, devant le monde, vous ne nous connaissez seulement pas… Il faut voir, quand on vous dit de bonne amitié : Bonjour, monsieur Friquet, bonjour, comme vous passez raide ! sans rendre un coup de chapeau !

— C’est vrai, ajoute Eustache, parce que vous avez reçu de l’éducation qui vous met à même d’inventer des comédies, et que vous avez la langue assez bien dorée pour aller chez les gens faire des doléances d’une ou d’autre couleur, à cette fin de leur tirer des larmes et des écus, vous méprisez celui qui reste tout bonnement mendiant tel que le bon Dieu l’a fait, et qui tend le chapeau au passant. Puis, s’il y a quelque chose à prendre, vous vous dites de nos amis…