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les mendiants de la mort

Il allait se précipiter à genoux… mais Valentine avait disparu.

Il demeura immobile devant la place qu’elle venait de quitter.

Un moment se passa dans une fixité muette. Il semblait que cette femme, d’une beauté morale si puissante, eût laissé derrière elle une impression de respect qui retenait tout le monde dans le recueillement.

Mais ensuite les amis d’Herman s’empressèrent autour de lui. On le savait assez sensible, assez impressionnable pour souffrir vivement de la scène qui venait de se passer.

Cependant, il ne paraissait pas souffrant, abattu comme on aurait dû le penser.

Se tournant vers ses amis, il les regarda d’abord avec une vivacité extrême, et comme pour chercher en eux l’impression qu’avait dû y produire Valentine, si belle, si grande en ce moment… Mais pensant que ces hommes-là ne pourraient partager ni comprendre le sentiment dont il se sentait animé, il baissa la tête et se renferma dans un silence obstiné.

À tout ce qu’on put lui dire pour calmer et fortifier son imagination, dans une circonstance dont on ne prévoyait pas cependant toute la portée, il répondit seulement au bout de quelques instants :

— J’ai besoin d’être seul.

En effet, ses traits peignaient plutôt une exaltation extraordinaire que la douleur, le dépit et la honte. Ses amis le quittèrent silencieusement en lui serrant la main. Il les vit sortir sans avoir l’air de s’en apercevoir, sans donner même un regard à la jeune fille qu’Eugène de Sabran remmenait dans sa voiture.

Demeuré seul, Herman parcourut un instant à grands pas cette chambre, qui, maintenant redevenue déserte, avait repris son empreinte lugubre. Puis il s’arrêta, croisa les bras et regarda fixement devant lui. Son regard semblait suivre un objet dans l’espace, un vague et extatique sourire errait sur ses lèvres.

Ce qu’il contemplait ainsi était l’image de Valentine, telle qu’elle venait de lui apparaître.

Il l’aimait.

Mais au moment où il s’avouait cet amour qui venait de naître en lui, il en comprit subitement toute la puissance et tout le malheur.