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les mendiants de la mort

pulsion invincible… son cœur se serra à la pensée d’habiter sous le même toit que son père.

— Je n’y avais pas encore songé, dit-il d’une voix sourde. C’est vrai, mon père est ici… Il faudra le voir sans cesse… et, je l’avoue, maintenant il m’en coûtera cruellement.

— Votre départ de l’hôtel, dit Pasqual, peut aussi obvier à cet inconvénient.

— Oui !… vous m’éclairez, mon ami. En changeant de demeure, je peux me séparer de lui sans que ce procédé semble trop offensant… Je lui laisserai une rente suffisante pour tenir sa maison, et j’habiterai seule la mienne.

— C’est ce que je pensais.

— Oh ! il m’a renié dans ma mère, il a brisé les doux liens de famille en repoussant de lui une femme parfaite. Je puis renoncer à ces liens du cœur à mon tour… Il m’a donné seulement pendant toute ma jeunesse l’existence matérielle, j’en ferai autant pour lui dans sa vieillesse… Nous sommes quittes !

— Faites ces dispositions… une lettre suffira.

— Où est-il maintenant ?

M. le comte est sorti pour affaires ; il dîne chez un ministre et ne rentrera que dans la nuit.

— Pasqual, pourriez-vous me trouver un hôtel à louer avant ce soir ?

— Écrivez votre lettre à M. votre père, et lorsque vous l’aurez terminée, je serai de retour en vous apportant l’adresse de votre nouveau domicile.

L’homme d’affaires de Rocheboise sortit.

Herman demeura longtemps le front penché dans ses mains. Puis il se mit à écrire à son père, et traça lentement, péniblement cette lettre, où il fallait laisser voir ce qu’il connaissait de sa naissance, la blessure profonde que cette révélation lui avait faite, où il fallait, sans se poser en inimitié ouverte avec son père, le convaincre de sa ferme volonté de vivre désormais séparé de lui.

Ensuite il dressa le titre qui assurait au comte de Rocheboise une rente annuelle nécessaire à ses besoins.

Il posa son cachet à l’enveloppe qui contenait ces deux feuilles, et lorsqu’il releva la tête, Pasqual était devant lui.

Herman se leva, et posant une main sur la lettre qu’il venait d’écrire à son père, tandis qu’il portait ses yeux brûlants de larmes autour de lui :