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les mendiants de la mort

de Valentine, qui, du fond de sa retraite ignorée, avait sans doute les yeux fixés sur lui.

Il en résultait, pour lui, une existence étourdissante, hâtive, effrénée, qui servait seulement à consumer avec une rapidité prodigieuse sa fortune et sa vie.

Le prix qu’il avait reçu de la vente de l’hôtel Rocheboise et les fonds placés sur l’État, qu’il retirait chaque jour, permettaient à Herman de se tenir passagèrement sur un grand ton de maison. Sa maison étalait un luxe princier, destiné à entretenir constamment l’ivresse des sens et l’engourdissement de la pensée.

Rocheboise avait gardé pour maîtresse en titre la jolie bohémienne, parce qu’aucune femme dans Paris ne pouvait aussi bien faire ressortir par ses attraits les parures qu’il lui donnait, et signaler aux regards sa scandaleuse magnificence.

Madame Hermance avait maintenant une maison montée… non plus le petit pavillon caché sous les arbres, et abritant quelques instants de plaisir mystérieux, mais une véritable habitation de courtisane connue de tous et ostensiblement vouée à la licence.

Herman, ayant cette maîtresse pour l’étaler et en tirer orgueil, se montrait maintenant partout avec elle, aux spectacles, aux promenades, aux courses de chevaux, aux bains de mer ; mais là se bornaient toutes ses relations avec la jeune fille. Il la montrait par bravade et ostentation ; puis, sur le seuil de l’hôtel, il se séparait d’elle. Il ne lui restait pas même d’attrait pour sa beauté : cette femme, dont il faisait un véritable objet de luxe, avait aussi pour lui le contact froid de l’or et des pierreries ; son cœur ne battait pas plus près d’elle que près d’une belle urne d’albâtre.

La position de Pasqual avait changé dans la nouvelle maison de M. de Rocheboise. Pasqual, par sa supériorité d’esprit, par ses facultés variées, étendues, peut-être aussi par quelque chose d’imposant dans son aspect, de fascinant dans son regard, avait toujours dominé son maître ; dès le moment où il avait pris l’habit de son valet, il était devenu son confident et son guide.

Un jour, Herman avait reconnu ce contraste et avait dit en souriant :

— Mon ami, il faut avouer que depuis que je vous connais je ne pense et je n’agis guère que par vous ; sans qu’il y paraisse, vous me faites aller en tous sens selon