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les mendiants de la mort

portés une seule nuit était tellement usé pour lui, qu’ils lui semblaient aussi flétris que s’ils eussent réellement remonté au temps que leur forme indiquait. Parmi les joyaux antiques posés sur la cheminée, le regard d’Herman rencontra l’anneau de chevalier qui était à son doigt la veille. La bagne creuse s’était entrouverte ; il la prit pour l’examiner à l’intérieur.

Le chaton des anneaux romains, comme les têtes d’épingles qui servaient à la coiffure des femmes, contenaient souvent du poison. L’anneau authentique que Rocheboise s’était procuré à grand prix pouvait avoir servi à cet usage, car l’or en était à l’intérieur noirci et rongé.

Herman comprit bien alors que ces maîtres du monde, rassasiés de tout, après avoir trop joui, devinssent inhabiles à vivre, après avoir trop fait les dieux, ne pussent plus être hommes, et qu’ils eussent recours au suicide, aimé et glorifié par eux.

Telle était aussi sa situation… Pour la première fois, il songea à mourir… Il regretta que la bague ne contînt plus le poison.

Après une lente et grave réflexion, il se jura à lui-même que si, dans huit jours, cet anéantissement terrible durait encore, que s’il ne s’était pas rattaché par quelque lien à la vie, il sortirait de ce monde.

Le temps se passa ; la coupe de l’ennui devint tous les jours plus amère. Herman, élevé à quelque dignité morale par un véritable amour, ne pouvait plus supporter la vie si misérable et si vaine de l’homme riche qui absorbe en lui des trésors sans autre but que de les absorber. Cette succession continuelle de plaisirs forcés et mensongers, cette existence si factice pouvait avoir quelque prestige aux lueurs troubles de l’ivresse, mais au premier jour de la raison elle paraissait fardée et hideuse.

Herman ne se sentait ni courage, ni volonté pour persister, malgré son dégoût, dans une voie fausse et odieuse ; il se trouvait faible devant tout effort, si ce n’était celui qui le délivrerait de la vie.

Le terme marqué pour son funeste dessein avançait. Un matin, malade de corps autant que d’âme, il voulut respirer le grand air, voir encore une fois un large horizon, et contempler l’espace mystérieux qui s’élève sur nos têtes avant d’y frayer peut-être sa route.

Il monta en voiture et ordonna qu’on le conduisît hors barrières.