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les mendiants de la mort

gure commune, mais intelligente, se précipita vers Herman en s’écriant :

— De grâce, cher monsieur, consentez à m’entendre.

Herman regarda l’étranger avec surprise et assez de mécontentement ; mais il y avait tant d’instante prière dans l’œil du vieillard, qu’il n’eut pas le courage de repousser sa demande, et du geste il lui offrit un siège en face de lui.

L’étranger s’assit en respirant largement ; il écarta les jambes, déposa entre elles deux son chapeau, tira de sa poche un ample mouchoir blanc, et commença à pleurer en silence.

Lorsque cette manifestation muette devenait un peu fastidieuse pour Herman, le vieillard le comprit et s’écria enfin :

— Ah ! monsieur, vous voyez un père au désespoir. Étonné de cette ouverture, quand il attendait au contraire quelques consolations banales, Rocheboise regarda de nouveau ce visiteur inconnu ; puis d’un ton triste laissa tomber ces mots :

— Hélas ! monsieur, vous n’êtes pas le seul malheureux… mais que puis-je pour vous ?

— Ah ! monsieur, c’était un ange dix-huit ans à peine… la fraîcheur d’une rose… aimable et bonne… trop aimable et trop bonne… c’est ce qui fait que je ne me consolerai jamais…

— Mais enfin, monsieur…

— Aussi n’essaie-je plus… les plaisirs, les joies de ce monde me sont insupportables… un visage gai me devient odieux… je ne cherche plus que les affligés… eux seuls ont mes sympathies… car, comme à moi, les larmes leur sont douces…

Le vieillard pleura derechef et usa de son grand mouchoir blanc.

— Mais encore une fois, monsieur ! dit Rocheboise avec impatience.

— Voici qui est fini, répondit l’étranger en posant le mouchoir dans le chapeau. Je suis allé ce matin faire un petit tour aux pompes funèbres… c’est la seule distraction que je me permette depuis mon malheur… J’ai appris la perte cruelle que vous aviez faite, j’ai eu quelques détails sur l’enterrement commandé pour madame votre mère… Voyant que vous faisiez si bien les choses, j’en ai pris la