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les mendiants de la mort

Autour de lui nul meuble à serrer le linge, nul vêtement épars n’annonce qu’il puisse se changer à volonté. En effet, le mendiant n’a que son unique défroque, avec laquelle il couche tout habillé, dans laquelle il meurt, et qui lui sert encore de linceul.

Quoi qu’il en soit, son piteux état et l’appareil de son souper qui se prépare ne paraissent préoccuper le père Corbeau d’une manière pénible ni agréable… il jette des regards avides, errants, sur toutes les parties de sa demeure, et ses épais sourcils, les mèches grises et ardues, de son énorme crinière, avançant sur son front, semblent, quoiqu’il soit seul, vouloir cacher ses regards. Ses traits hideux, mais fortement expressifs, reflètent le cours de ses pensées : ils sont tantôt animés d’une joie étrange, tantôt obscurcis de sombres soucis.

Rien n’interrompt sa méditation sauvage.

Des gouttes d’eau, passant par le toit délabré, tombent, à temps égaux, avec un son monotone, et cette gouttière semble l’humble horloge qui mesure le temps dans ce misérable réduit. Au dehors, le long grincement d’une roue de charrette, qui sillonne lentement la route, est le seul bruit qui se fasse entendre.

L’attention du vieillard est cependant ramenée aux choses positives par l’éclat du foyer qui pétille en dévorant le bois sec ; à la clarté de cette flamme splendide, il se reproche de consommer trop vite ses provisions, et se hâte de retirer les tisons fumants, qu’il ménage pour l’avenir.

Le hareng étant cuit à point, le père Corbeau le fait passer sur l’assiette, qu’il pose au milieu du couvert ; il va chercher dans son cabinet une cruche d’eau dont il casse l’épaisse couche de glace ; il tire de sa besace des morceaux de pain de différente qualité, dont chacun représente une aumône, puis se met à table et procède à son souper.

Il promène d’abord longtemps le couteau ébréché sur l’étendue du poisson, afin de le diviser en deux parties bien égales, dont la seconde doit servir pour le lendemain. Cette opération terminée, la part qu’il se destine lui semble sans doute un peu mince en raison de son appétit, car il pousse un soupir, et se répond ensuite à lui-même d’un ton bourru :

— Parbleu ! est-ce que je n’en ai pas assez… Avec trois poissons pareils, Jésus-Christ a nourri une foule affamée !

En effet, malgré cette révolte passagère de son esto-