Aller au contenu

Page:Robert Brasillach - Le Procès de Jeanne d'Arc (1941).djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’agit de Jeanne. Notre théâtre n’est point un théâtre national, comme en partie le théâtre anglais : à ces guerres des Deux-Roses, à ces rivalités de loups qui enchantaient Shakespeare, correspondent pourtant assez bien nos Frédégonde et nos Brunehaut, nos Clovis et nos Sigebert. Mais si je regrette un Marlowe français, un Beaumont français, à défaut même d’un Shakespeare, ce n’est pas à propos de Jeanne. Son drame, elle l’a écrit, elle l’a dicté. Je n’y trouve rien à redire, même si je ne regarde que l’art. Je n’ai pas besoin de l’Odéon et de la Comédie-Française. Jeanne est un plus grand écrivain, un plus habile dramaturge que tous ceux qui l’ont mise en scène.

Ce qui m’étonne seulement, c’est un autre silence. Celui des philosophes, des critiques, des théologiens. On a vu commenter à perte de vue Sainte Thérèse et Saint Jean de la Croix, Saint Augustin, Saint Bernard, Bérulle, et d’autres plus obscurs. Parce que sous les fleurs d’une rhétorique enfantine et bourgeoise, on découvrait le cœur brûlant, l’énergie de fer de Thérèse de Lisieux, les plus graves exégètes ont analysé et mis en ordre les préceptes de la « petite voie ». De nos jours, des âmes saintes, mais d’une sainteté qui semble sans détours, Élisabeth Leseur, Anne de Guigné, Guy de Fontgalland, ont leurs fidèles et leurs scholiastes. Car je ne parle pas seulement de la dévotion à la personne : cette dévotion qui entoure la ravissante et maligne Bernadette. Je parle du commentaire (qui, je ne sais pourquoi, manque justement à Bernadette), et qui s’attache avec tant d’ardeur, et tant de subtilité, aux moindres paroles des saints que j’ai nommés, afin d’épuiser le contenu spirituel, et j’ai même envie de dire intellectuel, de leurs écrits, où la beauté de la foi surpasse celle de l’art.

Certes, l’enseignement donné par Jeanne, je vois bien que plusieurs ont tenté, laïcs ou clercs, de l’expliciter et d’en prolonger les leçons. Laïcs surtout, et je ne m’étonne pas, en notre temps, de voir un Péguy demander à Jeanne presque tout, un Barrès chercher en elle l’incarnation