Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/143

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ques leçons particulières d’éloquence ; comme elle allait plaider une affaire d’assassinat assez émouvante, elle choisit Hélène pour l’accompagner à la barre et lui porter son dossier.

« Voyez-vous, ma chère secrétaire, lui disait-elle en arpentant la salle des pas perdus, sachez ceci : Il n’y a pas de mauvaises causes ! une bonne avocate sait tirer parti même des plus mauvaises circonstances. Ainsi supposons un crime quelconque : de deux choses l’une, le crime devait profiter à l’accusé ou il ne devait pas lui profiter. Premier point. Le crime est patent, préméditation, atrocité, cynisme, etc., tout y est… l’accusé a été arrêté couvert du sang et du paletot de sa victime… très bien ! Je plaide : Ce crime, messieurs les jurés, devait-il profiter à l’accusé ? Oui ! tout le prouve, l’accusé a été poussé par un désir de lucre, par l’espoir d’un sérieux profit… un impérieux besoin d’argent, des dettes criardes, peut-être, ont armé son bras… donc, circonstance atténuante ! Second point du dilemme : le crime ne devait rapporter aucun profit à l’accusé. Je plaide le crétinisme, l’irresponsabilité, et je réclame l’acquittement ! Et voilà ! Il n’y a pas de mauvaise cause, ma chère enfant ! »

Et M11e Malicorne, enfonçant sa toque sur sa tête, se dirigea vers la salle des assises, suivie par sa très respectueuse élève.

Des avocates en grand nombre et quelques avocats barbus s’empressèrent autour d’elles et entamèrent une conversation sur la cause célèbre du jour.

« Ce Jupille est un horrible gredin, dit une grosse avocate à mine réjouissante qui avait la spécialité des causes gaies ou scabreuses, comme procès en séparation, recherches de paternité, coups de canif et autres ; vous aurez de la peine à le rendre intéressant.

— Mais je tâcherai ! répondit M11e Malicorne.

— Escalade nocturne, effraction, meurtre d’une vieille tante, d’une bonne et d’un caniche, c’est raide !

— Sans parler de la préméditation qui n’est pas discutable, car Jupille avait donné, huit jours avant, des boulettes au caniche, dit une autre avocate maigre, autre spécialiste des procès de coups de canif et renommée pour sa manière d’accommoder ses adversaires à la sauce piquante.

— Oui, dit négligemment M11e Malicorne, je sais que mon client est un abominable scélérat, et je m’en félicite au point de vue de l’art !… Tant mieux si la lutte avec le ministère public présente plus de difficultés ; j’aime les difficultés, cela surexcite ma verve !… Hier, pendant l’audition