Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/145

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chafouines et doucereuses qui donnaient à sa figure un caractère mélangé d’hypocrisie basse et de bestiale férocité.

Hélène alla s’asseoir avec un certain effroi au banc de la défense, à deux pas du gredin. Mlle Malicorne, avant de prendre la parole, communiquait avec l’accusé et lui demandait des autographes et des nouvelles de sa santé. Jupille, l’air ennuyé, bâillait au nez de la cour ; pour satisfaire son avocate, il emprunta une plume au greffier et se mit à bâcler les autographes demandés.

Tout à coup, au moment où Mlle Malicorne prenait son dossier des mains d’Hélène, pour y jeter un dernier regard avant de commencer sa plaidoirie, l’accusé Jupille bondit sur son banc.

« Une estant ! fit-il d’une voix rauque en arrêtant Mlle Malicorne, c’est pas vous que je veux, c’est cette petite-là !

— Plaît-il ? fit Mlle Malicorne, se retournant étonnée vers son client.

— C’est pas vous, que je vous dis ! je vous récuse comme mon avocate, je vous retire ma confiance…

— Qu’est-ce à dire ?

— Rendez le dossier, que je vous dis ! passez-le à la petite… C’est elle qui me défendra.

— Mon ami, mademoiselle est mon secrétaire… elle débute au barreau, elle porte la toge, mais elle n’est même pas avocate stagiaire !…

— Qu’ça m’fait ! j’ai le droit de m’en passer la fantaisie… C’est elle que je veux pour avocate ! voulez-vous que je vous dise ? elle a une bonne balle, la petite ! j’ai idée qu’elle fera de l’effet sur les jurés… allons, larmoyez donc un brin, la petite avocate, que je voie un peu…

— Jupille, réfléchissez, mademoiselle manque encore d’expérience…

— Je suis entêté que je vous dis ! demandez-le plutôt à défunt ma tante !… je veux ma petite avocate, je m’y connais, peut-être, et si on me la refuse, j’en fais une maladie !

— Eh bien, soit ! mademoiselle vous défendra, mais je vais rester à ses côtés pour l’aider de mes conseils.

— Mais je refuse, s’écria Hélène épouvantée, je n’oserai jamais… je ne sais pas du tout ce que je pourrais dire…

— Je vous aiderai ! dit Mlle Malicorne, ne craignez rien et rappelez-vous ce que je vous disais tout à l’heure : ce crime devait-il profiter à l’accusé ?… »