Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/185

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Nous emportons des vivres, un déjeuner simple et frugal, et nous lunchons sur les rochers au bord de quelque source. Ce sont de gentilles petites tournées d’herborisation ; j’apprends à mes pensionnaires la botanique et un peu de géologie… c’est excellent, la botanique, pour amortir les instincts brutaux et jeter quelques grains de poésie dans les âmes. Ces tournées d’herborisation viennent en aide à la pêche à la ligne, mon grand moyen de régénération ! Vous savez que l’administration a fait détourner un petit affluent de la Seine pour l’amener dans notre parc…… vous verrez ce parc et sa petite rivière, mesdames, vous admirerez ce paysage moralisateur… rien ne porte mieux à la rêverie que de suivre, une ligne à la main, les sinuosités de notre ruisseau ou d’explorer ses archipels d’îlots dans un léger batelet… Enfin, outre la rivière nous avons un lac très poissonneux aussi…

— C’est superbe !

— Voilà les importantes améliorations qui font de cette maison de retraite un établissement sans rival ! Elles sont de création bien récentes encore et déjà elles produisent de merveilleux résultats sur les pensionnaires ; les actifs, les tempéraments violents s’amortissent par les exercices violents, tandis que les rêveurs errent sur les bords de ma rivière parmi les ajoncs et achèvent dans les douces émotions de la pêche à la ligne l’œuvre de leur régénération morale. Et tenez, un exemple ! voyez-vous cet homme qui se dirige, une ligne sur l’épaule et un panier à la main, vers le fond du parc ?

— Parfaitement.

— Comment le trouvez-vous ? bonne physionomie, n’est-ce pas ? œil calme, figure tranquille, allures douces…

— Oui, il a l’air d’un très brave homme… on dirait un petit rentier partant pour sa promenade du dimanche.

— Eh bien, il est ici pour six attaques nocturnes et quatre vols à main armée avec escalade et effraction ; mais il est aujourd’hui en bonne voie de régénération… Encore six mois de pêche à la ligne et je rendrai à la patrie un citoyen paisible à la place du scélérat qu’elle m’avait confié ! Et voyez cet autre là-bas, le gros qui fume une pipe en lisant un journal ; c’est, ou plutôt c’était un horrible gredin, envoyé ici pour je ne sais quelle affaire… comment le trouvez vous ?

— Bien portant surtout !

— Il prend du ventre… et il m’est arrivé maigre comme un clou !