Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/195

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— Vous êtes bien dégoûtée !… pour un client un peu trop sentimental !… vous êtes décidée ?…

— Tout à fait décidée ! J’ai donné à Mlle Malicorne ma démission de troisième secrétaire.

— Qu’allez-vous faire ?

— Je ne sais pas, dit tristement Hélène. »

M. Ponto se gratta le front d’un air contrarié.

« Et moi qui me croyais tranquille, dit-il, vous étiez casée, j’allais pouvoir vous rendre mes comptes de tutelle, et pas du tout… encore des tracas !… »

Il y eut un moment de silence.

« Pas d’idées arrêtées, reprit tout à coup M. Ponto, pas de vocation déterminée, aucune disposition pour n’importe quoi… En résumé, n’est-ce pas, vous n’êtes bonne à rien ?

— J’en ai peur, gémit la pauvre Hélène.

— Bon, ce point nettement établi, la route à suivre est toute tracée…

— Vraiment ? dit Hélène.

— Sans doute ! vous allez prendre la carrière politique…

— Mais…

— Puisque vous ne montrez pas d’aptitudes particulières, puisque vous ne vous sentez pas de disposition pour autre chose ! Après tout, la carrière politique est une carrière comme une autre et c’est la plus commode ! c’est la plus belle conquête de 89, mon enfant !… Avant la grande Révolution, on n’avait pas cette ressource et quand on manquait d’aptitude pour un art, une science ou un métier quelconques, dame, on restait forcément Gros-Jean comme devant !… Maintenant, cette bonne politique est là, qui tend les bras à ceux qui ne pourraient réussir dans une autre carrière…

— C’est que… balbutia Hélène, je craindrais…

— Quoi ? qu’allez-vous encore m’objecter ? on ne vous demande pas des facultés transcendantes… Vous ignorez sans doute que la plupart de nos grands hommes d’État ne se sont lancés dans la politique qu’après avoir échoué dans autre chose… Sans cette bonne carrière politique, ouverte à tous, tel homme d’État faisait un mauvais pharmacien, un épicier médiocre ou un notaire manqué ; tel illustre orateur pesait mélancoliquement du sucre toute sa vie, tel grand ministre devenait un simple photographe de petite ville… Au lieu de s’obstiner dans la pharmacie, au lieu de rester à végéter dans l’épicerie ou d’humilier le notariat, ils se sont établis politi-