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Les tribunes de gauche avaient été réservées aux anciens élèves du Conservatoire aujourd’hui députés, préfets ou ministres. C’est de ce côté que partaient les plus chauds applaudissements lorsqu’au pied de la tribune un élève répondait victorieusement aux questions du directeur ou d’un membre du jury. Dans les tribunes des mères, des mots méchants couraient, chuchotés par des mamans nerveuses et rageuses.

« Pas fort ! Injustice ! Nous savons ce que nous savons ! Ce grand-là est aussi capable de faire un député que mon concierge !

— Mlle Firmin est sûre d’avance de sa préfecture, c’est une préférée !

— Anatole de Chatigny a des protections… c’est le cousin d’un ministre qui est du jury ! »

Hélène fut interrogée la trois cent cinquante-huitième. Quelques mots entendus en arrivant devant le jury lui rendirent le courage.

« Excellent concours ! disait un membre du jury, le Conservatoire tout entier est en progrès. Cela nous promet une belle génération de préfets remarquables, de députés éloquents, de ministres hors de pair… »

Mme Ponto devait venir ce matin-là recommander sa pupille aux amis qu’elle comptait dans le jury ; par malheur, prise par une importante réunion des comités féminins, elle n’était pas encore arrivée quand un membre du jury se mit en devoir d’interroger Hélène :

« Classe de gouvernement… n’est-ce pas ? dit-il. Bien ! Dites-moi… Quand un projet de loi est présenté à la Chambre en opposition avec le ministère et que le ministère n’est pas certain de la majorité, quel est le rôle du député gouvernemental, ou, si vous voulez, ministériel ?

— Il doit voter contre, répondit Hélène.

— Ma pauvre enfant, vous me semblez ignorer les premières notions de tactique parlementaire. Tous les efforts du député doivent tendre, d’abord à faire nommer une commission, puis à faire diviser la commission en sous-commissions et les sous-commissions en petites commissions particulières pour enterrer le projet par morceaux puisqu’on ne peut le faire d’un seul bloc. Supposons maintenant une mesure grave prise par un ministère battu en brèche…. Que devez-vous faire ?

— Je dois déposer une demande d’interpellation.

— Comment, une demande d’interpellation !

— Pardon, dit Hélène se souvenant tout à coup d’un discours de Louise Muche, récompensé par une médaille de première classe, pardon, je veux dire, je demande la mise en accusation du ministère…