Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Quelle formidable puissance que celle qui projette ainsi quarante cylindres et huit cents voyageurs avec une vitesse de quatre cents lieues à l’heure et, ce qu’il faut noter, avec la plus complète sécurité pour les personnes entassées dans les cylindres ! Quel progrès réalisé depuis les capilotades de voyageurs du temps des chemins de fer ! Dans les tubes on n’a rien à craindre. Pas de déraillements et pas de chocs avec des trains venant en sens inverse, puisque sur chaque ligne il y a deux tubes parallèles affectés l’un à l’aller, l’autre au retour.

Un tabouret de l’Académie française.
Un tabouret de l’Académie française.

Le pis qui puisse arriver, c’est de passer sa station, quand par suite d’un manque d’huile dans les pas de vis, un cylindre ne se détache pas au moment voulu, ou bien, ce qui est excessivement rare, lorsqu’un train en retard se trouve tamponné à l’arrière par le train suivant.

Ceci arriva justement au train d’Hélène. Par suite d’une petite distraction de l’ingénieur au moment de la fermeture du tube et de la mise en communication avec les machines, le train avait été lancé avec un dixième de perte dans la force réglementaire. Il en résulta que le grand express parti vingt-cinq minutes après rattrapa le train en retard un peu avant Bordeaux et le poussa violemment en avant.

Hélène, placée dans le dernier cylindre, ressentit une secousse qui la fit vaciller sur ses voisins ; une dame qui se levait pour prendre sa valise dans le filet s’assit par terre, et ce fut tout.

« Bon, nous sommes tamponnés par l’express ! dit un monsieur, nous allons à Madrid… C’est ennuyeux, moi qui suis attendu à déjeuner à Bordeaux !

— Comment ! nous ne nous arrêterons pas avant Madrid ! s’écria Hélène.

— Nous sommes lancés, nous ne pouvons plus nous arrêter ! Nous pourrons reprendre le tube de midi 55 à Madrid, mais nous n’arriverons à Bordeaux qu’à 1 h. 20 ! J’ai manqué mon déjeuner ! un déjeuner d’affaires ! j’intente un procès à la compagnie ! »

Hélène attendit philosophiquement que le train voulût bien s’arrêter. Une demi-heure après, en gare de Madrid, le grand express cessant de pousser, le train de Bordeaux s’arrêta. L’ingénieur de la gare fit bifurquer