Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/261

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dant, armé du petit téléphonoscope de poche, assurait sa communication électrique et braquait son instrument sur le point intéressant ; aussitôt, sur le grand téléphonoscope du journal apparaissait, considérablement agrandie, l’image concentrée sur le champ limité du petit téléphonoscope.

On pouvait donc être, ô merveille ! témoin oculaire, à Paris, d’un événement se produisant à mille lieues de l’Europe. Le shah de Perse ou l’empereur de la Chine passaient-ils une revue de leurs troupes, les Parisiens se promenant sur le boulevard assistaient devant le grand téléphonoscope au défilé des troupes asiatiques. Une catastrophe, inondation, tremblement de terre ou incendie, se produisait-elle dans n’importe quelle partie du monde, le téléphonoscope de l’Époque, en communication avec le correspondant du journal placé sur le théâtre de l’événement, tenait les Parisiens au courant des péripéties du drame.

Rien n’était plus précieux. L’Époque faisait de grands sacrifices en correspondants et en plaques de cristal pour suivre au jour le jour les événements intéressants. Le directeur du journal, un beau matin, ne s’était plus contenté des images muettes du téléphonoscope ; il avait voulu mieux que cela, il avait voulu en même temps le son, le bruit, la rumeur de l’événement. Des savants, largement subventionnés, s’étaient donc mis au travail, et, après six mois d’essais, ils étaient parvenus à adjoindre au téléphonoscope une espèce de conque vibratoire qui reproduisait les bruits enregistrés sur le théâtre de l’événement par l’appareil du correspondant.

Au moment de la grande guerre civile chinoise, en 1951, les Parisiens émerveillés avaient pu entendre les détonations des canons chinois et la fusillade. Ils purent voir dans la plaque de cristal les armées aux prises, ils assistèrent aux grandes batailles de Nanking, de You-Tchang, de Ning-Po, au passage du fleuve Jaune par l’armée impériale, à la prise de Pékin par les républicains chinois, à l’assaut du palais du Fils du Ciel et aux lamentables scènes de carnage et d’orgie qui suivirent. Les Parisiens, attroupés jour et nuit devant le téléphonoscope, l’âme troublée et le cœur palpitant, assistèrent à des scènes que la plume se refuse à décrire ; ils virent les quatre cents impératrices chinoises au pouvoir d’une soldatesque effrénée, ils frissonnèrent à l’immense incendie allumé après le pillage, enfin, ils furent témoins de la surprise nocturne du camp républicain par le retour offensif du maréchal impérialiste Tin-Tun.

Le journal eut dix-huit correspondants tués ou disparus pendant la guerre et trente et un blessés. Le téléphonoscope se brisa sept fois rien que