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sphère, depuis les cheminées des maisons jusqu’aux petits nuages blancs moutonnant dans le bleu ! Les aérocoupés et les ballonnières de maître, construits légèrement et supérieurement machinés, couraient en longues files vers l’ouest, au-dessus de la grande foule des aérostats de place et des aéronefs-omnibus serrés les uns contre les autres, enchevêtrés à ne pouvoir virer de bord sans accrocs et obligés de marcher en une seule masse compacte.

À mesure que l’on approchait du champ de courses, l’aspect du ciel devenait plus fantastique. De tous côtés d’innombrables véhicules arrivaient, labourant les nuages, chargés de bourgeois joyeux en grande tenue. Les aérofiacres avaient leur complet chargement et les omnibus bondés à outrance portaient plus que le poids maximum fixé par les règlements ; l’individu le plus svelte n’aurait pu s’y insinuer et sur la dunette des bandes de jeunes gens s’accrochaient aux cordages.

L’antique carnaval n’existe plus depuis longtemps, il a rendu le dernier, soupir dans les funèbres bals masqués de la fin du siècle dernier ; mais la vieille gaieté française n’a pas tout à fait perdu ses droits et peu à peu elle tend à remplacer le défunt mardi gras par le grand prix de Paris. Ce jour-là tout est joie, on a liberté pleine et entière ; de véhicule à véhicule on s’interpelle gaiement, on se lance des bordées de dragées et d’oranges qui ne coûtent rien à personne, car les compagnies de publicité se chargent de fournir les projectiles préalablement bourrés de réclames et d’annonces.

Les ballons-annonces sont aussi un grand élément de gaieté. Une belle émulation porte les commerçants à chercher des formes de ballons ingénieuses et bizarres, pour fixer dans les mémoires les noms de leurs maisons ou de leurs produits. Cela remplace le carnaval industriel du Longchamps de jadis.

En approchant de Meulan, le champ de courses se signalait par ses tribunes élevées sur des échafaudages d’une prodigieuse hauteur. Tout le beau monde se faisait débarquer au sommet de ces tribunes et se répandait sur les plates-formes pour montrer ses toilettes et admirer de plus près les véhicules de course ancrés à la remise du départ. La grande tribune centrale réservée au monde officiel était pleine de députés et de ministres accompagnés de leurs familles. Sur la gauche se dressait la tribune de l’aéronautic-club, occupée par les notabilités du sport et par les juges des courses.