Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/331

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Et M. Ponto donna des signes de contrariété pendant tout le reste de la promenade.

Philippe Ponto, le frère de Barbe et de Barnabette, arrivait de Constantinople par le tube de 8 h. 45 pour prendre sa part des vacances décennales. Depuis plusieurs années, des affaires importantes et embrouillées le retenaient à Constantinople à la succursale de la banque Ponto. On sait que lors de la faillite de la Turquie en 1935, M. Ponto, qui venait de donner un colossal essor à sa maison, fut nommé syndic de la faillite. Ceci d’abord avait nécessité de fréquents voyages en Turquie, puis un jour était venu où M. Ponto avait pu donner sa procuration à son fils et l’installer à la tête de sa succursale de Byzance.

Disons-le tout de suite, Philippe Ponto ne donnait pas à son père une satisfaction sans mélange ; il n’était pas tout à fait aussi pratique que ses sœurs, et il avait dans son passé une chose terrible, un sonnet, inachevé, il est vrai, mais enfin un sonnet de treize vers et demi, trouvé, avec des frémissements d’horreur, dans ses cahiers d’études, par l’éminent directeur de l’École des hautes études commerciales et financières. Si tout autre que le fils du grand banquier Ponto se fût rendu coupable d’une pareille orgie poétique, sans nul doute il eût été impitoyablement mis à la porte du sanctuaire des sciences pratiques. Philippe en fut quitte pour un mois d’arrêts et pour un immense pensum, consistant à résumer en un travail de trois cents pages tout ce que les économistes avaient écrit sur la formation des capitaux et sur la monnaie, métal ou papier, et autres signes représentatifs des valeurs.

Philippe dormit jour et nuit pendant trois mois, presque sans interruption ; ce terrible châtiment coupa les ailes à sa muse, et plus jamais il n’osa se permettre d’aligner deux rimes. Ensuite son père l’envoya en Turquie, pays pittoresque, où même les questions de finances revêtent un certain caractère fantaisiste et azuré. Philippe, sous-syndic de la faillite, fut accablé d’amabilités et de prévenances par le commandeur des croyants ; il habita un palais de marbre sur le Bosphore, il eut les caïques dorés de la cour à ses ordres et les pachas à ses pieds.

Ce fut grâce à l’influence de Philippe qu’en 1949, après quatorze années de misérables chicanes avec tous les huissiers et avoués du globe, après le grand Congrès d’huissiers de 1948, le sultan obtint enfin son concordat, en donnant seulement 7 1/4 pour 100 à l’âpreté de ses créanciers. La chronique scandaleuse parla d’un certain cadeau de quatorze Circas-