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gagner aux premiers froids le midi de la France et s’en aller faire des cures d’air dans les Pyrénées. Quelques-uns se risquent même à traverser la Méditerranée pour courir se réchauffer aux rayons du soleil algérien. Les accidents sont très rares, les aérochalets ne peuvent chavirer qu’en cas de rupture des cordes, ce qui ne saurait se produire lorsque les habitants vérifient l’état des haubans chaque matin, comme on doit le faire.

M. Ponto n’avait amené son aérochalet que comme pied en l’air. Philippe, qui depuis quelque temps paraissait avoir du goût pour la solitude, s’y était arrangé un logement et y passait les journées qu’on n’employait pas en parties de plaisir.

Ces journées inoccupées étaient rares, il faut le dire. Presque tous les jours, quand on ne se baignait pas, on partait en excursion soit sur le yacht des Cardonnaz, soit sur l’Albatros, ou bien l’on allait en partie de pêche à quelques lieues au large. L’Albatros, excellent petit yacht, descendait jusque sur la crête des vagues, dont il enlevait l’écume au passage et traînait quelques filets que l’on relevait pleins de crevettes ou de menus poissons.

Le mariage de Philippe avec Mlle Cardonnaz était décidé. Les deux pères, habitués à traiter ensemble d’immenses affaires, s’étaient rapidement entendus sur celle-là. Philippe cependant semblait froid ; il n’avait pas dit non, mais il n’avait pas dit oui, et il s’était contenté de laisser faire. Mlle Cardonnaz était pourtant charmante. C’était une des beautés de Mancheville, quartier d’Étretat. Les journaux de la plage ne tarissaient pas sur son élégance ; le Galet illustré, gazette du high life, avait donné son portrait en costume de bain, en toilette de soirée, en costume de plage et en amazone fantaisiste montée sur un âne.

Dans les parties de pêche, elle portait le plus délicieux costume marin qui fût jamais sorti de l’imagination d’un costumier poète, et, les cheveux dénoués au vent, elle semblait une vraie néréide ou plutôt l’incarnation moderne de Mme Vénus Anadyomène. Et Philippe restait froid, lorsqu’il la voyait lancer le filet à la mer, battre joyeusement de ses belles mains gantées de rouge quand elle le sentait chargé, et hâler ensuite bravement sur la corde.

Sur ces entrefaites, les murailles de Mancheville se couvrirent d’affiches d’un rose séduisant, portant en gros caractères les lignes suivantes, destinées à révolutionner tous les cœurs masculins :