Page:Robida - Le vingtième siècle, 1883.djvu/457

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— Et, demanda timidement Hélène, les… harems ? Elles ne sont plus enfermées dans les harems ?

— Il y a longtemps ! les harems si bien gardés, si murés par la jalousie féroce des Turcs d’autrefois, sont devenus des salons à l’occidentale, dont ces dames font gracieusement les honneurs aussi bien aux amis musulmans qu’aux simples giaours. Les ex-odalisques font de la musique, causent modes et chiffons, jouent des comédies de salon, organisent des ventes de charité, etc., etc. Il y a même des harems politiques où l’on discute sur les droits de la femme, la réforme des finances, la question persane et autres graves sujets.

— Et ces dames ne sortent plus voilées ?

— Bien entendu ! ces dames ont adopté, toutes les modes françaises. Elles vont au concert, à la promenade, aux sermons des derviches à la mode, dans les bazars de nouveautés, aux grands magasins du Croissant, ou bien à ceux du Sabre d’Othman, chez les couturiers, aux bains de mer, etc., etc. La grande préoccupation des dames turques, c’est de briller, d’étinceler suffisamment pour faire partie des élégantes à la mode, de celles que les journaux citent chaque jour dans leurs comptes rendus des solennités mondaines. Il leur faut leur loge à l’Opéra, leur baignoire à Karagheus-Théâtre, et aux premières représentations, dont il ne faut pas manquer une, pour avoir la satisfaction de lire le lendemain dans le Stamboul-Figaro : « Vu dans une loge de face la délicieusement blonde baronne Alaïka, épouse du baron Achmet de Buyuk-Déré, le sénateur de l’arrondissement de Scutari d’Asie. » En résumé, les Turcs d’à présent sont des « pincés » et des « pincées », le mot qui a remplacé les anciens termes de gandins et gandines, cocodès et cocodettes, gommeux et gommeuses. Tous gommeux ! Du haut de son ciel, égayé par les houris, Mahomet doit être légèrement ébouriffé par les allures de ses descendants. »

Hélène se mit à rire.

« Tous gommeux ! tous pincés ! et la preuve, la voici ! répondit Philippe en achetant un paquet de journaux au kiosque des bains. Voici la vie stambouloise, journal illustré, du high-life ; voici la chronique des harems, journal illustré, quelquefois un peu léger, rempli de dessins et d’articles indiscrets, où l’on raconte les cancans du jour, le scandale de la veille et celui du lendemain, les démêlés conjugaux, le procès en séparation du gros pacha X…, l’enlèvement de la petite Zurka par un attaché de