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Le Vingtième Siècle.

qui toute la nuit m’a parlé de cadavres, d’assassinats, d’accidents, de révolutions… »

M. Ponto s’écroula dans un fauteuil en éclatant de rire.

« Ce n’est que cela ! s’écria-t-il, c’est le téléphone qui vous a effrayée, c’est pour des dépêches de Boukhara que vous jetez l’épouvante dans une paisible maison de Chatou ?…

— Pardonnez-moi, dit Hélène confuse, je ne savais plus ce que je faisais…

— Mais ce n’est pas votre faute, ma chère enfant, c’est la faute de la femme de chambre qui a négligé de fermer tout à fait le téléphone en faisant votre lit… c’est elle qu’il faut gronder… Nous avons le téléphone dans toutes les chambres, mais quand on ne veut pas être réveillé, on ferme le récepteur et les dépêches de nuit restent dans le tuyau ; le matin on ouvre et on les a toutes en bloc… Pour moi, qui ai besoin de connaître à n’importe quelle heure les événements graves survenant dans les cinq parties du monde, j’ai à mon téléphone particulier un compteur qui ne laisse passer que les dépêches importantes…

— Mais j’ai été réveillée d’abord par le compte rendu d’une pièce de la Comédie-Française.

— La Dompteuse ! oui… j’ai eu aussi mon compte rendu de la Gazette téléphonique… il paraît que c’est un succès ! C’est la faute de la femme de chambre ; si elle avait fermé votre téléphone, vous auriez dormi tranquillement. Tenez, ma chère enfant, voyez-vous ? Vous n’avez qu’à appuyer sur ce ressort, et votre téléphone est muet… Allons, vous allez être tranquille maintenant ; il est trois heures, vous avez encore quelques heures pour vous rattraper de votre veille forcée… Allons, bonne nuit ! Et une autre fois, faites attention aux timbres d’alarme. »

M. et Mme Ponto avaient regagné leurs appartements ; la maison, si singulièrement troublée, avait retrouvé sa tranquillité. Les vapeurs asphyxiantes du gaz extincteur d’incendie s’étaient dissipées ; Hélène, remise de ses terreurs et guérie de sa toux, avait eu grand’peine à se rendormir, mais enfin elle y était arrivée.

Il était pourtant écrit que cette nuit serait jusqu’au bout mauvaise, car, vers trois heures et demie, la malencontreuse sonnerie d’alarme éclatant à son oreille la tira brutalement de ce bon sommeil qu’elle commençait à peine à savourer.

« Ah ! fit Hélène en se dressant avec une migraine soudaine. »