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VIE DE CONDORCET

pas qu’il ait jamais été imprimé, annoncé, ni mentionné. Il ne porte aucune date, et il nous semble difficile de lui en assigner une, vu son mode de composition.

Mais une œuvre encore plus inconnue, quoique plus importante aussi et qui a singulièrement excité notre curiosité et notre intérêt, est une sorte de mémoire autographe Sur la persistance de l’âme après la mort (Corresp. liasse X).

Condorcet ayant toutes les connaissances anatomiques et physiologiques de son temps, des vues très avancées et très droites sur les fonctions du cerveau, et aussi tout le savoir philosophique que l’on puisse posséder sur cette grave question, nous étions anxieux de connaître quelle solution, métaphysique ou scientifique, il avait pu lui donner.

Ses prémisses sont très saines, ses déductions rigoureuses, ses conclusions parfaitement rationnelles, nous avons hâte de le dire. Il reconnaît donc que, ni par l’observation, ni avec l’aide des méthodes scientifiques les plus sagaces, voire par le calcul algébrique qu’il essaye, il va sans dire, d’appliquer ici, on ne peut arriver, en l’espèce, à aucune certitude, à aucune approximation suffisante ; et il reconnaît très franchement qu’il en est de même de la croyance à une toute-puissance souverainement intelligente et bonne, qui aurait créé et qui dirigerait notre monde et notre espèce.

Cependant, dans l’ordre sentimental ou affectif, au point de vue des sympathies, des suggestions instinctives, il déclare regretter que les connaissances, l’expérience et la sagesse acquises durant une première existence ne puissent être, après notre mort, utilisées et augmentées dans une autre vie.

La nature morale du philosophe reste donc, d’après la pubHcation de cette composition si curieuse et après cette épreuve, d’une positivité irréprochable et d’une raison intacte.

M. Charma, qui écrivait sous le second Empire et qui était fonctionnaire public, a dit très finement, dans son importante notice sur Condorcet, au sujet de la croyance en Dieu :

« Il est cependant une question des plus hautes et des plus graves sur laquelle il garde une réserve absolue, ne se prononçant jamais ni pour ni contre la solution que tous les peuples, que la plupart des hommes lui donnent communément.

« Condorcet n’aurait pas fait inscrire son nom dans le Dictionnaire des athées ; il admet volontiers que l’ordre du monde, tel que nous le connaissons, peut nous conduire à l’existence d’un Être suprême ; mais il voit là des diffi—’ cultes qu’aucun philosophe n’a encore complètement résolues. Loin de condamner et de redouter ceux qui ont le malheur d’être incrédules, il pense que la religion n’a rien à en craindre ; que leur morale a pour règle l’utilité pubUque, pour motifs l’intérêt que nous avons à être bons et l’aversion naturelle que nous sentons tous en nous à faire souffrir nos semblables. Il craint si peu l’athéisme, qu’en aucune circonstance il ne veut qu’on en tienne compte, pas plus que des croyances diverses de ceux auxquels on se propose de confier les intérêts les plus sérieux et les plus chers (1). »

(1) Condorcet, sa vie et ses œuvres, par M. A. Charma, professeur de philosophie, etc. 1 vol ia-8° de 82 p. ; chez Hardol, Gaen, 1863,