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LES FANTÔMES BLANCS

releva la tête : ses yeux brillaient d’un feu sombre ; il ne pleurait plus.

En ce moment, Mme de Villarnay entrait dans la chambre. Philippe courut se jeter dans ses bras.

— Ma tante, notre chère Valentine, nous ne la verrons plus !

La comtesse lui montra le ciel.

— Nous la reverrons là-haut, dit-elle. Et comme le jeune homme répétait toujours : « Ma tante, quel affreux malheur ! » elle l’entraîna doucement hors de la chambre.

— Du courage, mon cher enfant, dit la noble femme, nous sommes bien seules, Éva et moi, et nous avons besoin de votre énergie pour appuyer nos faiblesses. Tu ne connais pas encore tous nos malheurs.

En parlant ainsi, la comtesse fit entrer son neveu dans un petit salon où se trouvaient le comte, Georges et Éva.

Le comte était assis près d’une fenêtre qui donnait sur le parc et ses doigts tambourinaient sur les vitres en fredonnant un vieux refrain guerrier.

— Fou ! murmura le jeune homme. Pauvre oncle !

Georges et Éva vinrent serrer la main de Philippe, mais trop émus pour parler, ils restèrent silencieux.

La comtesse avait fait signe à son neveu de s’asseoir à côté d’elle, et, pendant quelques minutes, le silence qui régnait dans la chambre ne fut troublée que par la voix du pauvre dément qui continuait sa chanson.

— Ma tante, dit enfin le jeune lieutenant, vous devez avoir quelque chose à m’apprendre. Cette mort imprévue doit cacher quelque mystère, parlez, j’ai le droit de savoir !

Mme de Villarnay soupira.

— Je vais te dire tout, mon petit, mais il faut que tu me promettes d’être calme.

— Je vous le promets, parlez.

Alors, la comtesse fit le long récit que nous connaissons. Philippe, la tête appuyée sur sa main, l’écouta sans l’interrompre. Au tremblement convulsif qui agitait ses membres, Mme de Villarnay devina que ce calme n’était qu’apparent ; aussi, en terminant sa douloureuse histoire, elle remit au jeune homme une enveloppe qui portait pour inscription : « À mon cousin, pour lui être remis après ma mort. »

— Lis, mon enfant, lui dit-elle.

« Mon Philippe aimé, disait cette missive d’outre-tombe, quand tu liras ces lignes ta pauvre petite fiancée ne sera plus de ce monde. Dieu n’a pas voulu que je sois ton épouse, adorons sa volonté sainte. Je pardonne à celui qui est la cause de ma mort, pardonne-lui aussi et Dieu t’enverra la paix. Tu consoleras ma mère et Georges, sois un frère pour Éva, et remplace-moi auprès de mon pauvre père. Adieu, car je sens la mort qui vient. Je te donne rendez-vous au ciel… Ta Valentine. »

Après la lecture de cette lettre, testament sublime où l’âme de l’amie envolée se révélait toute entière, le jeune homme, abîmé dans sa douleur, resta longtemps silencieux. Enfin, il murmura d’une voix brisée :


— Je pardonnerai peut-être, mais pas maintenant.

Le lendemain eurent lieu les funérailles de Mlle de Villarnay. Une foule de paysans, dont Valentine était la providence, avait tenu à accompagner à sa dernière demeure les restes de celles qu’ils nommaient leur bonne demoiselle. Valentine fut déposée dans l’antique caveau où dormaient déjà plusieurs générations de ses nobles aïeux, puis la foule s’en alla, non sans proférer des menaces à l’adresse du lâche ravisseur.

Si Georges et Philippe eussent été moins chrétiens, la vengeance leur eut été facile, car ils auraient rencontré des auxiliaires puissants chez les châtelains du voisinage et parmi la population qui ne cachait pas leur mécontentement.


CHAPITRE XIV
MAUVAISE NOUVELLE.


Abandonnons, pour un instant le château de Villarnay et voyons ce que devient notre ami, Paul Merville.

Le séjour du jeune homme au Havre s’étant prolongé plus qu’il ne s’y attendait, il en profita pour régler quelques affaires concernant la fortune de sa mère.

Enfin le « Montcalm » fut signalé et deux heures plus tard, Paul tombait dans les bras du capitaine Levaillant, qui faillit l’étouffer dans une furieuse embrassade.

— Quelle poigne ! s’écria le jeune homme en se dégageant, mais si vous étouffez ainsi vos amis que réservez-vous à vos ennemis ?

Le capitaine eut un gros rire.

— C’est que je vous embrasse pour tous ceux de là-bas, dit-il, car je les ai tous vus. Croiriez-vous que la belle Ellen m’avait défendu de voir vos sœurs et de communiquer avec la famille Jordan. Ah ! bien oui. Je lui ai dit : « Madame, je suis le capitaine du « Montcalm », en dehors de mon service à bord, je n’ai point d’ordre à attendre de personne ». Et là-dessus, je lui al tiré ma révérence et j’ai couru chez les Jordan qui m’ont chargé de vous transmettre leurs meilleurs souvenirs. Lilian vous demande de vous hâter, dans l’intérêt de vos sœurs qu’elle ne peut voir que rarement et toujours accompagnées d’une religieuse. Ensuite, je me suis présenté au couvent et j’ai demandé à voir les demoiselles Merville. Je reçus pour toute réponse qu’un refus formel. Les oreilles commençaient à me chauffer, vous pouvez le croire. Alors, j’ai demandé la supérieure : « Madame, » lui ai-je dit, « la séquestration des demoiselles Merville est une chose inique, et je crains qu’en gardant ici ces enfants contre leur gré, vous ne passiez… oh ! bien involontairement, être la complice d’une coquine.

— Comment cela, monsieur ! dit la supérieure indignée.

— Connaissez-vous le chevalier de Laverdie ?

— Mais oui, c’est un parfait gentilhomme, il vient souvent avec Mme Merville.

— Et avez-yous remarqué l’attitude de Marguerite envers lui ?

— Elle est très froide, plutôt hostile, Mais cette enfant est si entêtée.

— Voilà ce que je craignais. Madame, on a surpris votre bonne foi. Je pars pour la France où je vais chercher le frère de ces jeunes filles, il vous dira, lui, le cas que vous devez faire des allégations de Mme Merville et de son soi-disant chevalier ».