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LES FANTÔMES BLANCS

jours la même, cette petite Odette toute frêle et toute pâle. Elle était belle pourtant, plus belle que Marguerite, et l’on se sentait invinciblement attirer vers cette jeune fille qui faisait songer aux jolies plantes qui s’étiolent faute de soleil.

Marguerite avait attiré Odette près de la fenêtre, et tout en s’efforçant de la consoler, elle regardait au dehors. La nuit était sombre ; un épais brouillard couvrait le fleuve et s’étendait sur la ville en vapeurs denses que perçaient seules les pâles lumières qui tremblotaient derrière les vitres des maisons.

Odette, bercée par les douces paroles de sa sœur, avait cessé de pleurer, et maintenant, appuyée sur son épaule, elle regardait machinalement toutes ces lueurs pâlottes qui semblaient lutter contre l’obscurité.

Le bruit d’un pas sur la neige vint les faire tressaillir.

— J’ai peur, dit Odette en se serrant contre sa sœur.

Mais le nom de Marguerite prononcé par une voix assourdie à dessein, se fit entendre au dehors.

La jeune fille ouvrit la fenêtre.

— C’est moi, dit-elle.

— Descendez vite un fil, quelque chose, j’ai une lettre pour vous.

— C’est Mme Bernier, dit Odette, une lettre de Lily, sans doute.

Marguerite prit, dans une corbeille, un peloton de fil qu’elle laissa dérouler, tout en gardant l’extrémité du fil dans sa main.

— Tirez maintenant, dit Mme Bernier, cette lettre va vous faire faire de beaux rêves. Bonne nuit, chères petites.

— Merci, bonne amie, murmurèrent les deux sœurs.

— Lis vite, dit Odette, j’ai hâte de savoir.

Marguerite alluma une bougie, s’assura que la porte était bien close, et revint près de la table.

— Je ne connais pas cette écriture, dit-elle en ouvrant la missive d’une main que l’impatience faisait trembler.

Le premier feuillet qui frappa ses yeux fut la lettre de Paul.

— Mon Dieu ! murmura-t-elle en joignant les mains. Est-ce possible ?… Pourtant, c’est bien son écriture… voyons cet autre papier… Odette, ma chérie, nous reverrons notre bon Paul… Il est en France. Écoute sa lettre et celle de son ami… Et Marguerite, d’une voix émue mais avec une grande joie au cœur, commença cette lecture qui leur rendait l’espoir en des jours meilleurs. Odette, très pâle, mais les yeux brillants de joie, l’écouta sans l’interrompre. Lorsqu’elle eut fini, elle l’entraîna au pied du crucifix qui ornait la muraille.

— Remercions Dieu, dit-elle.


CHAPITRE IV
CHEZ LE GOUVERNEUR.


Le lendemain Georges s’éveilla tout à fait reposé. Un grand apaisement s’était fait dans l’esprit du jeune homme, et maintenant il se surprenait à aimer cette nouvelle patrie où le sort l’exilait, peut-être pour de longs mois.

Certes, il regretterait toujours la belle France et les êtres chers laissés là-bas, mais il retrouvait sur la terre d’exil, la langue et les coutumes françaises ; la guerre allait lui fournir une occasion de se distinguer et d’être utile, car c’était encore servir la France que de combattre avec ceux qui voulaient lui conserver cette colonie gardée au prix de tant de sang français.

Une inquiétude, cependant, restait à Georges : Quel accueil allait leur faire le gouverneur ? Leurs papiers étant perdus, il pouvait refuser de les croire ; pire que cela, les prendre pour des espions vendus à l’Angleterre.

Georges consulta sa montre, elle marquait 9 heures. Alors il éveilla Philippe qui ronflait comme un bienheureux.

— Lève-toi, incorrigible paresseux, dit-il, tu ne seras jamais prêt, il est 9 heures.

— Quoi ? Qu’y a-t-il ? dit de Seilhac en se frottant les yeux. Le feu est-il à l’hotel ?

Georges se mit à rire.

— Tête de gascon, va. As-tu-oublié qu’il faut que tu viennes avec moi ?

— Aller avec toi ? marmota Philippe sans ouvrir les yeux.

— Ah ! tu fais l’imbécile, s’écria Georges, attends mon garçon, tu vas voir…

Et le jeune homme, qui riait toujours, ouvrit la fenêtre.

Un vent glacial s’engouffra dans la pièce.

— Ferme, cria de Seilhac, ou je me fourre sous les matelas.

Georges fut obligé d’obéir.

— Brrr…, dit Philippe en sautant de son lit. Nous ne sommes pas à Marseille, mon bon… Mais quelle idée as-tu de réveiller ainsi les gens par des bains d’air froid ? Quel pays ! nous allons nous éveiller gelés, un beau matin.

— Voyons, trêve de folies, dit Georges. Tu sais que nous allons chez M. de Vaudreuil.

— C’est vrai, je l’avais oublié… Pourtant j’ai hâte, moi aussi, de savoir ce que nous réserve cette entrevue. Dans un quart d’heure, je serai prêt.

En effet, un quart d’heure plus tard les deux jeunes gens étaient en route pour le château St-Louis.

On les fit entrer dans une antichambre où se trouvaient déjà plusieurs personnes. En apercevant les deux jeunes gens, l’un des personnages se détacha du groupe et s’avança au devant d’eux.

C’était un grand vieillard à barbe grise, à l’air vénérable et doux ; il vint droit à Philippe.

— Je ne me trompe pas, dit-il, vous êtes bien le fils de mon ami, le baron de…

Le jeune homme mit un doigt sur ses lèvres.

— Je comprends, murmura le vieillard, venez.

Et les attirant dans l’embrasure d’une fenêtre, il s’adressa de nouveau à Philippe :

— Vous ne me reconnaissez pas ?

Le jeune homme tendit ses deux mains.

— Monsieur D’Orsay ! dit-il.

— Oui, mon cher enfant, c’est bien moi. Je vous ai reconnu tout de suite ; vous ressemblez tant à votre père… Vous étiez loin de vous attendre à me rencontrer ici ?