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LES FANTÔMES BLANCS

autant de pierres précieuses, les girandoles de givre qui s’accrochaient aux branches des arbres.

Ce fut avec un froid mortel au cœur que Marguerite souleva le marteau placé sur la porte basse. Nanette ouvrit et poussa un cri de joie en reconnaissant la jeune fille.

— Marguerite ! mon enfant je te retrouve. Monsieur Jordan, vous allez me la laisser, pas vrai ?

— Oui, ma bonne, mais il ne faut pas qu’elle se fatigue, elle a été très malade, vous savez ?

— Oui, je sais. L’envoyé du général me l’a dit. Ah ! quelles successions de malheurs !… Notre Odette… M. Georges… perdus, enlevés… Qui sait !…

— Personne n’a rien vu, rien entendu ? demanda Marguerite.

— Rien de rien, ma chère petite. M. Georges m’avait fait conduire Odette chez lui, pour qu’elle ne voit pas les cadavres. Elle a passé toute la journée avec Angèle. Lorsqu’elle vous demandait, on lui disait que vous étiez à Québec et qu’elle irait vous rejoindre. Le soir, M. Georges apporta des remèdes pour madame, et me dit qu’il conduirait Odette chez M. Jordan le lendemain et que l’enfant dormirait dans la chambre d’Angèle. Il me dit encore qu’aussitôt Odette en sûreté, il se mettrait à votre recherche. Ménard lui inspirait des soupçons. Il comptait, qu’une fois à Québec, avec l’aide de M. Harry il pourrait découvrir le misérable.

— Et qu’avez-vous pensé, en apprenant cette nouvelle disparition ? demanda Jordan.

— Dame, monsieur, j’ai pensé que les compagnons de Laverdie, qui connaissaient toute l’histoire, ont enlevé Odette et le docteur, dans l’espoir d’obtenir une grosse rançon de celui-ci que l’on dit très riche.

— Harry pense comme vous Nanette, dit la jeune fille.

— Maintenant, vous allez souper dit Nanette. Voyez, la table est servie.

— J’accepte, dit M. Jordan. Cette longue route m’a donné appétit. Viens Marguerite, tu dois avoir faim.

— Pas beaucoup, dit la jeune fille en souriant. Je vais prendre un verre de lait avec vos bons biscuits, Nanette.

— Comment se porte votre maîtresse ?

— Bien mal, monsieur, et si changée. Une vraie ruine ! On a fait venir un médecin de Québec. Il a dit comme ça, qu’elle était finie. C’est Françoise qui en a soin ; elle bat la campagne tout le temps. Ah ! elle est bien punie, la malheureuse !

— Pourvu qu’elle se repente, dit M. Jordan en se levant de table. À présent, je pars, il fait beau et la lune éclaire comme en plein jour. Si tu avais des nouvelles avant nous, envoie un messager. Si nous en avons, nous, Harry ne se fera pas prier pour venir. Au revoir, ma chère petite ; au revoir, ma bonne Nanette, soignez bien notre petite chérie. C’est à vous que je la confie, vous savez !

Il embrassa Marguerite, serra la main de Nanette et sortit, suivi par celle-ci.

Marguerite, restée seule, éclata en sanglots. Elle espérait si peu, elle…

Nanette, en rentrant, la gronda pour son peu de courage. Tout en pleurant avec elle, elle la caressa, la berça avec des paroles d’espoir, et comme l’heure était avancée, elle la déshabilla et la mit au lit. Bientôt, brisée par la fatigue du voyage, Marguerite s’endormit en gardant dans sa main celle de la fidèle servante, qui la veilla toute la nuit.


CHAPITRE VIII
REPENTIR.


Marguerite essaya d’abord d’organiser sa vie, afin de laisser le moins de prises possibles au désœuvrement. Elle assistait à la messe tous les matins et trouvait une grande consolation à prier librement dans la petite église, un peu sombre, où l’on pouvait s’isoler dans l’ombre d’une colonne, de façon à se croire toute seule avec Dieu. Elle y revenait, chaque soir, demander à Dieu le courage et la patience, afin de supporter sa vie d’inquiétudes et de tristesses. Elle avait ses livres favoris, les délicats ouvrages auxquels Odette donnait autrefois une collaboration active, mais son esprit était de ces pages, si goûtées lorsqu’elles étaient lues par la douce voix d’Odette. Les fins ouvrages, eux-mêmes, avaient perdu leurs attraits, puisque la petite sœur n’était plus là pour en prendre sa part. C’est ainsi qu’en voulant échapper au souvenir, il la poursuivait avec la persistance d’une hantise.

D’autre part, la maladie de Mme Merville s’aggravait de jour en jour, le délire ne la quittait presque plus. Ses cris et ses plaintes énervaient la jeune fille et troublaient son sommeil. Dans ses rares moments lucides, Ellen réclamait la présence de sa belle-fille, et la suppliait de lui pardonner, et c’était des scènes de désespoir qui achevaient d’épuiser la pauvre enfant.

Le bon curé, qui s’intéressait à cette jeune fille si éprouvée lui conseilla de retourner à Québec.

— Vous n’êtes pas utile ici, mon enfant, dit-il, et la vie dans cette maison n’est pas bonne pour vous. Que feraient ces pauvres filles, si vous alliez tomber malade à votre tour ! Si vous voulez, j’enverrai un messager chez vos amis ?

— Je crois que cela ne sera pas nécessaire, répondit Marguerite. M. O’Reilly, mon fiancé, doit venir cette semaine. Vous avez raison, monsieur le curé, l’atmosphère de cette maison me tue. Vous direz vous-même à ma bonne Nanette qu’il est nécessaire que je parte, à cause de ma santé.

— Soyez tranquille, mon enfant, j’arrangerai les choses.

Mais il était trop tard pour Marguerite ; le lendemain, elle fut incapable de quitter son lit. Il n’y avait pas de médecin dans les environs. Le bon curé prescrivit quelques remèdes qui produisirent une réaction salutaire. Le danger était écarté, pour le moment du moins.

— Je crois une rechute, dit le curé à Nanette. La moindre émotion peut amener une syncope, et alors, tout serait à craindre… Et dire que c’est l’inquiétude qui fait mourir cette enfant…

— Priez Dieu qu’il fasse un miracle, monsieur le curé.