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LES FANTÔMES BLANCS

— Comptez sur moi, lieutenant, je ne suis pas Normand pour rien !

Le lendemain soir, comme Nanette, après avoir tout rangé dans sa cuisine, se préparait à prendre son tricot, un coup frappé à la porte vint la faire tressaillir. Elle ouvrit, et se trouva en face d’un homme vêtu comme les habitants de la campagne, et porteur d’un paquet assez volumineux.

Mlle Merville, demanda l’inconnu.

Marguerite ne laissa pas à Nanette le temps de répondre :

— C’est moi, monsieur, dit-elle. Que me voulez-vous ?

— Vous remettre ce paquet de la part de Bob.

— Alors, vous venez me chercher !

— Oui, mademoiselle, habillez-vous vite ; Bob nous attend. Je suis Philippe de Seilhac.

— L’ami de M. de Villarnay ! Oh ! vous avez vu ma sœur !

Mlle Odette est bien portante et je crois que votre vue va la guérir tout à fait.

Marguerite défit le paquet, en retira les costumes, et Nanette et elle procédèrent rapidement à leur toilette. Marguerite fit un paquet de tout ce qui appartenait à Odette, et vint rejoindre Nanette et Philippe. Partons, dit-elle en prenant le bras de la bonne vieille.

Tous trois sortirent. Il faisait beau, mais le ton gris du ciel présageait une bordée de neige prochaine. Nanette murmura :

— Il va neiger, Seigneur ! Nous allons nous perdre dans ces bois, ma pauvre mignonne.

Philippe se mit à rire.

— Rassurez-vous, ma bonne. Nous sommes quatre pour vous conduire, et nous avons des « traînes sauvages ». Vous ne courez aucun danger.

— Est-ce que vous auriez peur Nanette ? demanda Bob qui sortait avec ses compagnons d’un bouquet d’aulnes. Vous allez revoir votre petite Odette, vous n’êtes pas contente ?

Marguerite tendit la main à Bob et aux deux Bretons :

— Nous n’aurons pas peur avec vous, dit-elle.

— Voyez-vous ça ! s’écria le vieux Yves, c’est brave comme l’autre, la petite blonde qui m’appelle papa Yves. Ce qu’elle va rire de vous voir habillées comme ça ! Allons, embarquez !

Marguerite s’installa sur une traîne, Nanette sur l’autre. On les couvrit de chaudes fourrures, et la caravane se mit en marche. Le trajet se fit sans fatigue et de bonne heure dans l’après-midi du lendemain, on atteignait le petit camp.

— Voici votre demeure pour quelques jours, mademoiselle, dit Philippe. J’espère que vous ne vous y trouverez pas trop mal.

— Lorsque j’étais dans la maison luxueuse de Mme Merville, j’eusse donné beaucoup pour un abri tel que celui-ci en compagnie d’amis dévoués.

La table attendait les voyageurs.

— Tu as bien fait les choses, mon ami Jacques, mes compliments, dit de Seilhac. À propos est-il venu quelqu’un en notre absence ?

— Oui, mon lieutenant, le père Vincent est venu mettre son nez de furet dans la porte pour me demander la ous’qu’était m’sieu Philippe ? J’y en ai conté une peur !

— Que lui as-tu conté ? demanda Philippe.

— J’y ai dit comme ça que Bob avait découvert un trou en dessous d’un rocher, une caverne comme qui dirait, où vivent des bêtes étranges : elles ont une corne entre les deux oreilles, du poil aussi long que la crinière d’un cheval et une queue longue d’au moins six pieds. J’ai ajouté que ces bêtes n’avaient que deux petites pattes avec des griffes.

— Ça doit être épeurant ces bêtes-là, m’a dit le bonhomme, si on pouvait en prendre une vivante… Hein ! on en ferait d’l’argent en la montrant en curiosité.

— C’est justement pour ça qu’ils sont allés guetter que j’ai répondu. Bob a vu des p’tits, ils espèrent d’en poigner un. Le père Vincent est parti fier comme un roi ! Pensez donc, la belle histoire à raconter aux autres.

Tout le monde riait aux larmes, Nanette dit en s’essuyant les yeux :

— On ne doit pas s’ennuyer chez vous, mossieux !…

On se retira de bonne heure. Philippe alla rejoindre Georges, et les deux femmes, couchées sur le lit de sapin garni de chaudes couvertures, passèrent une nuit paisible.


CHAPITRE XV
LES FANTÔMES BLANCS.


Depuis quelques mois, le paisible village de St-Thomas, affolé par les événements tragiques dont il avait été le théâtre, se trouvait dans un état d’agitation inusité. Pensez donc… Une pareille série de disparitions mystérieuses, de meurtre même, se produisant coup sur coup, sans qu’il fut possible de trouver une trace quelconque… Il n’en fallait pas plus pour troubler les cervelles des commères, mâles et femelles de la localité. Abstraction faite même de certains de ces individus, chez qui cet organe semble problématique.

On ne s’abordait plus sans se communiquer des suppositions, toutes plus étranges les unes que les autres, et les jeunes filles ne sortaient plus après le coucher du soleil. On comprend que, pour une population déjà excitée par tant d’événements inexplicables, la disparition de Marguerite et de Nanette n’était pas propre à calmer les esprits.

On interrogea Françoise : celle-ci répondit que mam’zelle Marguerite, n’ayant plus besoin de ses services, l’avait congédiée en lui payant ses gages, et lui donnant, en plus, toute la garde-robe de Mme Nadeau. Elle ne savait pas autre chose ; force fut donc aux curieux de s’en tenir aux conjectures…

On racontait, en se serrant autour de la grande cheminée que, dans les nuits sans lune, on voyait une procession de fantômes, tous blancs, descendre des hauteurs du « Rocher Noir », pour aller se perdre dans la Basse-Bretagne.

Il y a quelques années, on voyait encore au bord du « Bras St-Nicolas », tout près de l’entrée du joli pont qui traverse cette rivière à Montmagny ; on voyait, dis-je, une petite maison d’une vingtaine de pieds carrés, dont le rez-de-chaussée se composait d’une unique pièce.

Au temps où se passe mon récit, cette maison était occupée par une veuve que les gens appe-