Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/138

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ça de repousser le plus loin possible cette angoissante pensée.

— Il est encore si petit, disait-elle.

Ma mère dit, pour lui faire plaisir :

— Oh ! sans doute, vous avez du temps devant vous.

Mais elle secoua la tête sans répondre : ses yeux perdus semblaient fixés sur ce coin mystérieux de l’avenir dont elle venait ainsi de soulever le voile.

Pour la tirer de cette dangereuse rêverie, ma mère demanda, comptant sur une réponse affirmative :

— Vous retournez en Italie, cet hiver, n’est-ce pas ?

Je jetai un coup d’œil du côté des deux causeuses, et je vis, oui, je vis une larme briller dans les yeux de ma marraine. Elle hésita un instant avant de répondre lentement :

— Non, pas cet hiver, nous n’irons pas.

Elle restait immobile, les mains posées sur ses genoux, les regards perdus. Après un long silence, elle reprit, en baissant la voix :

— Nous ne pouvons pas…

Et plus bas encore, si bas que j’entendis à peine :

— Nous ne sommes plus assez riches pour voyager.

Ma mère ne put réprimer un geste d’étonnement, presque de doute. La comtesse ajouta :