Aller au contenu

Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

enchantée de pouvoir répéter à tout venant :

— Sans doute, j’aimerais mieux éviter ces gens-là, mais que voulez-vous ? Je suis obligée de gagner ma pauvre vie, je ne puis pas juger les mains qui me nourrissent !

On abondait dans son sens en s’apitoyant sur l’injustice de sa destinée, d’autant plus volontiers qu’on obtenait d’elle quelques éclaircissements sur « ce qui se passait » au château. Le rôle que l’énergie du colonel Marian avait enlevé à Mlle Éléonore lui fut dévolu. Elle s’en acquitta tout aussi bien. À vrai dire, il « ne se passait rien », de sorte que l’imagination de Mlle Lesdiguettes faisait tous les frais de ses racontars. Elle s’exerçait tour à tour aux dépens du père, de la mère et même du petit-fils. À l’en croire, le colonel était « un homme terrible », la bouche « toujours pleine de jurons », « capable de tout », qu’elle chargeait évidemment de ce que ses souvenirs lui rappelaient des « grognards » et des « demi-solde » de son enfance. Anthony, fort malade, était affreusement gâté et recevait d’ailleurs une éducation contraire à toute espèce de bon sens ; quant à la comtesse, c’était une âme aigrie, pleine de sentiments abominables :

— Elle est ulcérée, ulcérée, je vous dis ulcérée. Elle hait la ville. Elle vous hait tous. Oh ! si elle pouvait !…