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Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/15

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l’attribuer à son caractère : il était réservé comme d’autres sont expansifs, mélancolique comme d’autres sont gais ; peut-être qu’il devait ces traits à la nature de son pays natal, à cet âpre Jura froid, triste, monotone, où la voix des oiseaux s’étouffe dans les bois sourds, où la bise gémit à travers les sapins et glace les vallées, où la neige enveloppe les horizons, pendant de longs mois, comme un linceul de mort. Quelles que fussent les causes de sa manière d’être, elle l’empêcha d’avoir d’autre ami que moi. Je l’en aimai davantage. On nous citait, dans les classes, comme doublures d’Oreste et de Pylade. Aux récréations, nous avions toujours d’importants secrets à nous communiquer dans des coins ; aux heures de classe, nous trouvions mille moyens de nous entr’aider : je crois bien que chacun de nous a toujours ignoré certaines choses que l’autre apprenait pour lui, et que la réussite de notre bachot fut celle d’une entreprise collective.

Aussi fut-ce un déchirement quand il fallut nous séparer, Philippe devant faire sa médecine, moi mon droit. Arrivés ensemble à Paris, nous nous promîmes de nous voir au moins tous les jours, pour nous consoler de ne plus travailler ensemble. Il n’en fut rien. Entraînés chacun par nos occupations différentes, nous ne nous rencontrions pas comme nous l’au-