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Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/152

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vage pour la suivre. Elle filait, elle filait comme le vent. À la fin, je ne l’ai plus vue. Et les vagues hurlaient…

Souvent, il fallait que M. Lanternier le rappelât à l’ordre, doucement :

— Anthony ! et votre texte ?…

Alors Anthony reprenait son morceau :

Talia jactanti stridens aquilone procella
Velum adversa ferit, fluctusque ad sidera tollit.

Je finissais par partager sa nostalgie, même quand elle le poussait à se plaindre de notre pays :

— Ici, des sapins, toujours des sapins, et du brouillard, et de la pluie… Oh ! là-bas !…

Et je voyais son regard fixé sur cet inconnu magique, dans une extase.

Souvent aussi, quand il se taisait, je lisais dans ses yeux qu’il pensait à elle, qu’il la chérissait, qu’il la regrettait. Plus tard, j’ai compris que ce pauvre enfant devait à sa destinée une de ces âmes d’inquiétude et de désir, qu’offusquent toujours les objets présents, quels qu’ils soient, qui ne se plaisent jamais qu’ailleurs, qui n’aspirent qu’à l’inaccessible : âmes délicates et plaintives, auxquelles il faudrait, en tout cas, l’insouciance du ciel du Midi, la gaieté d’un soleil éternel ; et j’ai songé que sa mère lui ressemblait sans doute, que notre âpre pays n’était point fait pour eux, qu’il y avait dans leur