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Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/39

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de t’indiquer le caractère général ; il faut que je te présente mes héros. Tu sais que je ne suis pas romancier, moi. Je ne sais pas raconter. Point de ficelles. C’est la vérité qui te parle. Je te dis ce que j’ai vu, comme je l’ai vu, sans ornements de rhétorique.

Parmi les familles les plus haut cotées, celle des comtes des Pleiges occupait naturellement le premier rang. Ils étaient, ceux-là, de vieille noblesse, et de la meilleure, avec des merlettes dans leurs armoiries, un long passé d’histoire locale, quelques échappées dans l’histoire générale. Sans parler des croisades, où l’un de leurs ancêtres avait péri devant Saint-Jean-d’Acre, un des Pleiges avait combattu à Arques contre Henri IV, un autre à Rocroy avec Condé. Ils habitaient ce château qui, après eux, a été acquis par un brasseur anglais, lequel l’a fait restaurer à son idée, s’y est ennuyé considérablement pendant deux étés, et l’a revendu à la Ville. Dans mon enfance, la famille se composait du comte Anthony, un vieillard très vert, très vigoureux, très intelligent, qui, du haut de son château, avait vu passer presque tout le siècle ; de sa mère, la comtesse Adélaïde, âgée de près de quatre-vingt-dix ans : une volonté terrible, trempée par de redoutables épisodes de la Révolution changée ensuite en despotisme intraitable par l’étroitesse du