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Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/41

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menait seul, au pas, comme si son indolence naturelle se fût communiquée à sa monture. Quand il passait ainsi par les rues de la ville, les bons horlogers arrêtaient un instant leur travail, mettaient leur loupe au milieu du front, et le suivaient d’un regard pitoyable. On disait :

— Les des Pleiges n’ont pas de chance avec leur héritier.

Ou bien :

— Sûrement, c’est par celui-là que finira la race !

Et l’on s’en affligeait : car nos tranquilles bourgeois restaient attachés par de solides liens d’affection et de respect à la famille de leurs anciens maîtres. À leurs yeux, elle était l’ornement de la ville, ne faisant qu’un avec le vieux château dont l’effondrement aurait déparé la contrée ; elle représentait des choses passées que peut-être ils ne connaissaient pas très bien, mais qui exhalaient pour eux un parfum glorieux de vaillance et de chevalerie. Les des Pleiges demeuraient les seigneurs du pays : seigneurs sans droits d’aucune sorte, idéaux, si l’on peut dire, dépourvus d’autorité effective, mais qui conservaient leur prestige ancien et dont nul ne se fût avisé de discuter les actes. D’ailleurs, ils se montraient bons princes, volontiers accessibles à ce que la ville produisait de mieux, frayant même avec les autres familles, bien qu’infé-