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Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/83

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tait fréquemment ses visites. Il m’emmenait souvent avec lui, malgré ma mère, qui n’aimait point qu’on bravât l’opinion. Elle cherchait parfois à nous retenir sous des prétextes, ou demandait :

— Cette visite est-elle absolument nécessaire aujourd’hui ?

Mon père, qui la devinait, la regardait dans les yeux :

— As-tu peur ? lui disait-il.

Alors elle se troublait, se sentant prise en défaut, et balbutiait :

— Il vaut mieux éviter de froisser les gens.

Ce qui lui valait toujours cette réplique :

— Il faut être brave avant tout !

J’ai souvent pensé que ces deux êtres, excellents tous les deux, devaient beaucoup s’étonner l’un l’autre : mon père avait une âme de bataille, toujours prête à partir en avant, comme un cheval de combat à la voix du clairon ; ma bonne mère tremblait sans cesse. Ce contraste ne t’explique-t-il pas certains traits du caractère de ton vieil ami ?…

… Le visage de deuil de ma pauvre marraine s’éclairait quand nous arrivions :

— Bonjour, docteur ! Bonjour, filleul !

Mais comme elle était amaigrie et pâle dans sa robe de crêpe, — plus jolie encore dans sa tristesse qu’autrefois dans sa gaieté, si délicieusement jolie que j’é-