Aller au contenu

Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

même âge, me causait toujours une sorte de malaise effrayé. Il avait une singulière figure, allongée, avec des traits menus, des yeux bleu pâle inquiets, de longs cheveux plats, très blonds. De plus, grave comme une grande personne, il ne tenait jamais que des propos sages. Le plus souvent, nous marchions à côté l’un de l’autre, dans les longues allées silencieuses du parc, que jonchaient les feuilles de hêtres et les aiguillettes des sapins, en devisant comme des philosophes. C’était toujours moi qui lui disais :

— Courons !

Alors il prenait ma main et nous nous mettions à courir. Mais il était tout de suite essoufflé.

Par les jours de pluie, nous restions dans une immense salle qu’on lui avait donnée pour chambre de jeu : elle était décorée de panoplies et meublée de chaises sculptées et d’une longue table, où les armées de nos soldats de plomb pouvaient manœuvrer à l’aise. Anthony se plaisait, non pas à les renverser pêle-mêle en des massacres effroyables, mais à les arranger selon les lois d’une stratégique compliquée, qu’il inventait avec application. D’ailleurs, il s’en lassait assez vite : il préférait me montrer ses livres et m’en expliquer les images. Ou bien, il s’installait dans un fauteuil, oubliait ma présence pour se plonger dans ses ré-