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STENDHAL.

sont des pages émouvantes, et doucement émouvantes, où le terrible « homme d’esprit » qui les écrivit s’oublie et laisse entrevoir son cœur.

Ce n’est point à dire qu’on ne retrouve pas dans la Chartreuse quelques-uns des défauts les plus désagréables de l’autre livre. Fait singulier ! Beyle était d’une intelligence assez étendue, et ses trois romans, auxquels on peut encore ajouter le Chasseur vert, qu’il n’acheva pas, ne roulent, en dernière analyse, qu’autour d’un petit nombre de sentiments et d’idées, incarnés en un petit nombre de personnages, qui changent de nom sans changer d’âme : Octave de Manivert, Julien Sorel, Fabrice del Dongo, Lucien, voilà quatre portraits de Stendhal par lui-même. On dirait qu’usant d’un procédé expérimental, quoique peu rigoureux, il s’est en imagination transporté dans quatre milieux différents, en se demandant comment il aurait dû s’y comporter pour conserver ou augmenter sa propre estime. Il s’est vu tour à tour appartenant à cette aristocratie qu’il haïssait, puis sorti de la classe pauvre et menacé d’être confiné dans les ordres, puis cadet de famille en Italie, puis fils unique d’un riche financier. Comment rester soi-même dans des conditions si diverses ? Comment y satisfaire sa soif d’amour, son besoin d’action, son énergie ? Comment y conserver fraîche sa sensibilité et intacte son admiration pour Napoléon ? C’est là, dirait-on, tout le problème qu’il s’est posé : et les ingénieux développements à travers lesquels il l’a résolu, ont suffi à faire de lui