Page:Rodenbach - Bruges-la-Morte, Flammarion.djvu/180

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se velouter de poudre les joues, de se carminer la bouche, de se noircir les sourcils.

Hugues avait essayé en vain de la dissuader de ce maquillage, si en désaccord avec le naturel et chaste visage dont il se souvenait. Jane raillait, ironique, dure, emportée. Mentalement, il se remémorait alors la douceur de la morte, son humeur égale, ses paroles d’une noblesse si tendre, comme effeuillées de sa bouche. Dix années de vie commune sans une querelle, sans un de ces mots noirs qui montent comme la vase du fond remué d’une âme.

Les différences entre les deux femmes se précisaient maintenant chaque jour davantage. Oh ! non, la morte n’était pas ainsi ! Cette évidence le navra, supprimant ce qui avait été l’excuse d’une aventure dont il commençait à voir la misère. Une gêne, presque une honte l’envahit : il n’osait plus songer à celle qu’il avait tant pleurée et vis-à-vis de