Page:Rodenbach - Bruges-la-Morte, Flammarion.djvu/197

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

seul, comme dans un second veuvage ! La ville aussi lui paraîtrait plus morte.



Hugues, affolé, s’élança vers Jane, saisit sa main et supplia : « Reste ! reste ! j’étais fou… » la voix molle, mouillée à des larmes — eût-on dit — comme s’il avait pleuré en dedans.

Ce soir-là, en s’en retournant au long des quais, il se sentit inquiet, dans l’appréhension d’on ne sait quel péril. Des idées funèbres l’assaillirent. La morte le hanta. Elle semblait revenue, flottait au loin, emmaillotée en linceul dans le brouillard. Hugues se jugea plus que jamais en faute vis-à-vis d’elle. Soudain, un vent s’éleva. Les peupliers du bord se plaignirent. Une agitation tourmenta les cygnes dans le canal qu’il longeait, ces beaux cygnes centenaires et séculaires, descendus d’un blason — dit la légende — et que la Ville fut condamnée à entretenir à perpétuité, cygnes expiatoires, pour avoir mis à mort injustement un seigneur qui en avait dans ses armes.