Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/116

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Adam, l’ironie fut féroce. Nous la trouvons, chez M. Anatole France, dédaigneuse. Et quant à Alphonse Daudet, son ironie est attendrie, si on peut dire. C’est-à-dire que le premier mouvement de son esprit est d’apercevoir le ridicule, le défaut d’un être, la faiblesse d’une âme, le manque d’équilibre et de justesse, et d’en rire, et d’en faire rire ; mais le second mouvement est de se reprendre, de s’émouvoir, de voir — au delà de la silhouette comique d’une minute, de la parole sotte, du geste faux — l’être humain, le pauvre être humain, avec qui on a des fonds communs de tendresse, de douleur, d’humanité, de solidarité et, en somme, toute la même destinée. On riait aux larmes et voilà qu’on pleure un peu.

Ainsi, par exemple, il s’est souvent attaqué aux ratés ; ceux de Jack ; et Delobelle, le raté du théâtre ; d’autres encore. C’est qu’ils apparaissent, entre tous, ridicules et, en même temps, touchants. L’ironie et l’émotion, les deux qualités maîtresses du talent d’Alphonse Daudet, sont précisément celles qu’il faut pour les peindre. C’est pourquoi il excelle dans ces portraits.

L’observateur, qui avait vu juste, s’était égayé ; mais aussitôt le sentimental compatit. Nous nous rappelons, alors, que l’observateur est myope et qu’ainsi, voyant moins bien, il entend mieux, il entend ce que les autres hommes n’entendent