Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/118

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comme si Alphonse Daudet avait voulu se prouver à lui-même, pour une fois et par jeu, le poète provençal qu’il aurait pu être.

Subtil moyen de leurrer sa nostalgie !

Mais n’a-t-il pas emporté le Midi avec lui, surtout le soleil, qui fait la vie de son style ? Quand on le lit, on lui applique la jolie phrase de Sainte-Beuve qu’on dirait trouvée pour lui : « Il a le style gai et qui laisse passer des rayons. » Cette manière claire n’est pas obtenue sans peine. La journée, quand elle est la plus lumineuse, est sortie d’un matin de brouillard. Alphonse Daudet, comme Balzac, comme tous les créateurs de vie, est attiré d’abord aux péripéties, au mouvement du drame et des êtres. Surtout que lui n’a pas de sang-froid et court d’une haleine jusqu’au bout du roman. Mais, ensuite, il revient sur ses pas. Souvent, il a récrit un livre plusieurs fois, les feuillets du manuscrit étant divisés par moitié ou par tiers. Les phrases alors s’enjolivent, se concentrent. Il y a, dans sa manière, quelque chose d’égratigné, d’incisif, les hachures de l’eau-forte, les coups de crayon saccadés, où se continue la nervosité de la main. Et puis des grâces ajoutées, des roses piquées, des bijoux silencieux qu’une