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Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/146

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de sa jeune tête de héros un nimbe de légende et de mélancolie. On ne l’en aima que davantage — et d’avoir l’air si triste, étant si beau. Il disait : « Nulle part le bonheur ne m’attend ! » dès la première pièce de son premier livre ; et plus tard, dans le poème sur la mort de sa fille, il se nommait encore « un homme de désespoir ».

D’un bout à l’autre la même attitude et la même parole : « Voyez s’il est une douleur comparable à la mienne ! » Lamentation prodigieusement habile, si elle n’eût pas été sincère. Certes ce n’est pas un mot de dieu, de génie ployant sous la croix de son art. C’est le mot de la mère ; d’une femme. Jésus lui disait : « Ne pleurez pas sur moi ! » Voilà le mot vrai ; la posture qu’il fallait. Mais si le poète y eût gagné à nos yeux, la foule aime mieux ceux qui demandent sa pitié.

Et elle donna tout à Lamartine : sa pitié, son admiration, son temps, ses larmes, son or, son délire. Il fut vraiment, selon l’image de Shakespeare, porté en triomphe sur tous les cœurs.

Ce triomphe dura vingt ans, vingt ans d’une existence comme une féerie. « Vous auriez dû être roi », lui disait un jour un de ses flatteurs. Il vécut tel : aimé, acclamé, dans un luxe qu’aucun poète n’avait jamais connu, semant les secours et les dons, voyageant avec une suite.