Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/160

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être quand même, malgré tous et tout, des êtres de nature. Cela ne va pas sans d’amères luttes. Ils n’ont aucune condescendance aux usages, aux conventions, à l’esprit de caste ou de race, aux façons ordinaires de penser ou d’agir. Ils visent à l’absolu et souffrent de ne pas pouvoir s’y conformer assez. Tout le drame naît de ce conflit, du désaccord entre ce que le monde les voudrait et ce qu’ils se veulent. La vie de l’individu, en nos civilisations codifiées, est un perpétuel sacrifice de ses goûts et de ses instincts, à on ne sait quelles lois d’intérêt général et à des mœurs hypocrites auquel tout le monde collabore et dont tout le monde souffre.

Les personnages des romans de M. Mirbeau racontent une lutte de l’instinct contre la société, leur volonté de l’absolu. Ces romans, nés en même temps que les drames d’Ibsen, mais sans que ceux-ci fussent déjà connus en France, aboutissaient à la même revendication de l’individualisme.

Pour être soi-même, pour n’être pas prisonnier de la masse, le héros du Calvaire pousse jusqu’où il lui plaît sa dramatique passion. Mais c’est l’abbé Jules qui affirme avec le plus d’éclat cette attitude d’indomptable égoïsme qui n’est, après tout, que la totale sincérité. L’abbé Jules est, d’ailleurs, le chef-d’œuvre de M. Octave Mirbeau et un chef-d’œuvre, il faut le dire.