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Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/164

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raires et contingentes ! Et alors, quelles criailleries ! Que veut-il, cet audacieux, qui demande l’infini dans la vie et cherche l’Éternité sur les cadrans ? C’est chercher midi à quatorze heures.

On le vit bien quand il dressa dans le Calvaire (au grand scandale universel), une scène de guerre admirable ; c’est l’ennemi regardé, le uhlan prussien qu’on vient d’abattre, solitaire et jonchant la route, parmi la Nature éternellement en fête et impassible. Alors le sens humain s’éveille. Au-dessus de l’idée de la Patrie, il y a l’idée de l’Humanité. Autre solidarité, plus vaste, plus foncière. Et le héros du Calvaire s’émeut, s’agrandit aux pensées magnifiques ; et il baise au front l’Ennemi mort.

Vaste cœur de Don Juan, que trois mille noms de femmes n’avaient point rempli, cœur inépuisable ; cœur inassouvi, cœur qui sans cesse recommençait des expériences, voici un baiser dont il n’avait pas soupçonné la beauté et le funèbre enivrement ! Et comme l’amour des femmes apparaît médiocre et restreint auprès de cet amour qui baise, sur le visage de l’Ennemi, toute la douleur, toute l’humanité, toute la beauté morale, toute la mort.

Car M. Octave Mirbeau aboutit souvent à la mort… On en sent la présence, rôdeuse et terrifiante, partout dans son œuvre. Il y souffle comme le vent du bord des abîmes.